vendredi 28 septembre 2007

Deux mangas coup de poing


Death Note
La semaine prochaine, sort le 6e volume de Death Note, manga qui cartonne en France depuis janvier. On ne sait rien de la scénariste Tsugumi Ohba (même si elle existe vraiment). Seule certitude : elle possède une imagination morbide et sadique. Car ses personnages sont des ados cruels qui se jouent du monde des adultes. Je ne peux pas déflorer les rouages de la série, je parlerai donc simplement de Light, 17 ans, qui trouve le fameux Death Note. Il suffit juste d’indiquer dans ce foutu cahier le nom de quelqu’un pour que ladite personne meure. A partir de cette idée fascinante et bancale, Ohba et le dessinateur Takeshi Obata ont bâti une série assez irrésistible pour adultes et adolescents. On aurait pu croire que l’intérêt s’émousserait mais, en bons feuilletonistes, ils parviennent à réinjecter des doses de suspense, d’adrénaline et de cruauté… La publication de ce manga devrait tenir en haleine jusqu’à la fin 2008. Qui devrait voir la sortie du film L, tourné par le réalisateur de Ring, Tanaka et consacré à l’enquêteur L, le rival de Light (deux films sont déjà sortis au Japon).

Ushijima


Autre manga assez fort, pour public averti comme la couverture l’annonce, Ushijima. Il est rare qu’un héros soit aussi détestable. Ushijima vit en effet sa vie en exploitant la misère des autres en leur accordant des prêts au taux d’intérêt scandaleux. Usurier sans foi ni loi, il provoque la descente aux enfers de ses clients obligés pour certains de se prostituer. L’auteur Sôhei Manabe n’épargne rien à ses lecteurs et son trait sec souligne bien ces déchéances, les corps bouleversés par les drogues. Les scènes de sexe ne sont pas là pour exciter le chaland et le malaise est quasi-permanent. Relégué à être un voyeur, le lecteur est dégoûté et un peu fasciné par le nihilisme d’Ushijima. Le pire, c’est que, après ce premier tome, l’empathie envers ce personnage risque de commencer…

jeudi 27 septembre 2007

Jukebox : Devendra Banhart


Devendra Banhart est une vraie belle tête à claques. Je me souviens l’avoir attendu pendant une heure alors qu’il participait à la balance, avant un concert à la Guinguette Pirate, avant d’arrêter mon interview au bout de six minutes tant ses réponses absurdes et censément drôles me saoulaient. S’il aime jouer ce rôle du néo hippie bobo et connaud, il ne plaisante pas avec la musique. Enfin, si, un peu. Sur Smokey Rolls Down Thunder Canyon, on l’entend singer un crooner des années 60, un chanteur polynésien, Caetano Veloso, un choeur gospel ou des rockers glam. Devendra est un faiseur qui parvient à le faire oublier. L’écoute de ce nouvel album d’un exotisme rare est contre toute attente un ravissement. Les ballades ensoleillées préparent le terrain aux morceaux plus rock et à ce funk tubesque qu’est “Lover”. Il y a même du dub !
Ci-dessous, vous trouverez le clip de “Sea Horse”, huit minutes assez mouvementées. Avec un vrai groupe derrière lui, Banhart se lâche et nous oblige à saluer ses talents de chanteur et de compositeur (ou de faiseur).
Il participe également à la compilation Guilt By Association où la scène indie américaine reprend ses « plaisirs honteux ». Lui a opté pour “Don’t Look Back In Anger” d’Oasis qu’il dissèque et maquille comme une voiture volée. Le clip est plus bas.

Devendra Banhart:

Devendra Banhart - Don't Look Back In Anger (Overall Winner)

Udner mon ami

Le copinage sert souvent d’arme fatale à des nuisibles qui s’accrochent les uns aux épaules des autres pour remonter à la surface. Il ne s’agit pas ici de ça. Si je me permets de croiser la ligne blanche de la déontologie, c’est pour la bonne cause, parce que ça s’impose. Suite à un enchaînement de circonstances, j’ai fini la nuit à regarder les films de mon ami Udner, certains que je ne connaissais pas, découvrant des petites perles de nonsense qu'il n'avait pas eu la pudeur d'exhiber.
Depuis trois ans, Udner développe sur son blog (listé plus bas) un humour absurde et décalé où le décalage n’est pas un artifice, un ressort comique, mais une vraie philosophie. Entre Wittgenstein et Gary Larson, parfaitement. Ainsi, ses vignettes voient la légende faire voler en éclat l’image, un graphisme volontairement commun, et les certitudes.
Ses petits films sont encore meilleurs. Comme acteurs, il emploie des objets du quotidien, des jouets, qui, grâce à lui deviennent doués de vie. Tel un entomologiste narquois, il les observe régler leurs dilemmes (à droite ou à gauche ? - ce genre). Parfois, il donne aussi de la personne (voir sur sa page d’accueil).
Fan d’Eddy Mitchell, Paco De Lucia (c’est un bon guitariste quand l’envie lui prend), Clap Your Hands Say Yeah ou Das Efx, il sait utiliser la musique comme un élément à part entière. Il a d’ailleurs des projets de clips, je suis impatient de savoir quand ils seront lâchés dans la nature. Si j’avais un groupe, je le contacterais rapidement pour une vidéo, parce que, pour l’instant, il ne prend pas encore cher.
Plus bas, voici un film de présentation qui résume assez bien ses 3 premières années d’activité. Le meilleur est encore dans sa tête, le saligaud.

Présentation

Un condensé de l'humour made in Udner.

mercredi 26 septembre 2007

L'affaire de Maharadjah


N’étant pas * le président de son fan-club, je ne vais pas me lancer dans une dissection live du dernier carnet de Joann Sfar, Maharadjah que je lis paresseusement un soir sur deux – je dirais juste que des passages drôles, ceux où il croque ses enfants, voisinent avec d’autres où Sfar s’écoute parler et met par exemple en avant ses « petits secrets de fabrication »... qu'importe).
Ce qui justifie ce petit billet tient au récit donné par le dessinateur de sa non-participation à l’émission de Taddéi, "Ce soir (ou jamais)" du 9 janvier dernier. Invité comme Jean-Jacques Beineix, des romanciers (Jacques-Pierre Amette ou Antoine Vitkine) et d’autres à participer à une discussion sur l’islam, Sfar a appris le jour même que sa présence n’était plus très souhaitée (motif officiel, la crainte qu’il s’ennuie !). De peur qu’il s’emporte contre Tariq Ramadan, universitaire suisse un peu louche (Sfar utilise les mots de « fondamentaliste en costume») devenu porte-parole des Musulmans de France et également invité ? On n’en saura rien. On ne va pas sortir les grands chevaux, parler de censure (Taddéi gère son émission comme il l’entend) mais, quand même, se dégage de ce non-événement un fumet pas très ragoûtant (*2). Apparemment, seul l’Express et Philippe Val avaient évoqué cette drôle d’affaire et je la découvre avec dix mois de retard, pantois.
Maharadjah, sortie demain le 27 septembre, Shampooing/Delcourt

PS Ah, il y a aussi dans Maharadjah la retranscription d’une interview par téléphone, effectuée par un « journaliste du service culture d’un grand quotidien parisien », assez désespérante. Après, c’est sûr, comment voulez-vous que les journalistes bénéficient d’un peu de considération ?

* Non, Li-an, je t’assure.


*2 Et encore, c’était avant la dernière élection présidentielle…

mardi 25 septembre 2007

PJ Harvey : White Chalk


C’était un beau moment de télévision, enfin, un de ces moments où on se demande ce qui se passe. La semaine dernière, PJ Harvey interprétait “Grow Grow Grow” chez Guillaume Durand, toute blême dans son habit victorien, une autoharp à la main. Une prestation qui impose le respect : elle ne triche pas, ne mégote pas sur la conviction, fait comme s’il n’y avait personne sur le plateau. D'ailleurs, il n'y a plus personne.
A la réécoute, White Chalk marque bien une rupture. Ses conflits limite oedipiens, ses regrets, ses doutes, ses chagrins (la perte de sa grand-mère ? de toute sa famille), elle les expose au piano, chantant d’une voix presque méconnaissable tant elle ose s’aventurer vers des notes courageuses de vulnérabilité. En résumé : pas de guitare électrique, des balades venteuses, écorchées, blafardes reposant sur des arrangements qui cachent leur sophistication derrière un aspect faussement lo-fi. Et puis une diva mal peignée, pas le genre Tori Amos (rapprochement trop facile) pour une demi-heure dramatique et bouleversante qu’il faut affronter muni d’un minimum d’optimisme.
Apparemment, lors des interviews, Polly Jean botte en touche et nie une vraie implication personnelle dans les paroles. Si c’est le cas, elle mérite un Oscar pour son rôle.


Deux petites vidéos, la première est la prestation chez Durand, l’autre un extrait d’un concert de Manchester où elle joue “The Devil”, la chanson qui ouvre White Chalk.

pj harvey - grow grow grow (live at french tv show)

The Devil * new song* PJ Harvey

Jukebox : Joan As Policewoman


Le premier album de Joan Wasser, collaboratrice de Sparklehorse, Rufus Wainwright, Joseph Arthur ou Antony and The Johnsons, ressort avec un Cd bonus inédit (et une reprise de “Sweet Thing”, chanson de Bowie qui figure sur le trop méconnu, Diamond Dogs). Si vous aimez ceux-là, vous adopterez vite Joan As Policewoman.

Moi, je ne peux me passer de “Eternal Flame” (avec Arthur aux choeurs) que je peux écouter en boucle et me transporte comme il y a des années “Apple Of My Eye” d’Ed Harcourt. Chacun ses maladies. Voici le clip qui date déjà d’un an.

Joan As Police Woman - Eternal Flame

lundi 24 septembre 2007

Joe Henry 10/10


Le but était d’en arriver là : que vous couriez acheter Civilians, 10e album de Joe Henry. Pas un disque pour jouer au DJ, pas un disque pour passer l’aspirateur, pas un disque pour épater ses copains. Non, rien de tout ça. Plutôt un disque qui donne les frissons parce qu’on sent son auteur s’agiter comme si son micro était dans son salon. Si je parle de « ballades poignantes », ça va faire fuir tout le monde, non ? Alors, on évoquera un chanteur américain habité par ses convictions, sa poésie, un chanteur qui a le numéro de téléphone du guitariste Bill Frisell, un chanteur qui se fait chier à écrire des paroles qui ne sont ni faciles à comprendre ni hermétiques. Dans Civilians, on entend son blues, des cordes arrangées comme rarement, de la soul qui n’a pas besoin de s’appeler comme ça pour en être, du piano qui sonne comme sur les vieux disques, etc.

La parole à Joe, c’est mieux.

« Pour moi, ça semble être le point culminant de ma carrière parce que, d’une manière ou d’une autre, ça englobe tout ce que j’ai fait. Avec Tiny Voices, j’avais travaillé sur grand écran avec beaucoup de musiciens dans la même pièce. Là, j’ai voulu revenir à des choses dénudées, dépouillées. J’ai pris la décision de laisser plus d’air dans la pièce… »

Civilians est – lâchons le mot – l’album le plus politique de Joe. Ça n’est pas un brulot, non non, simplement les personnages sont autant traversés par des excès de romantisme que par une sorte de prise de conscience. Le morceau – phare de l’album s’appelle d’ailleurs “Our Song” où Joe met en scène sa rencontre avec Willie Mays, joueur de baseball mythique des années 60.

Explication :
« Willy Mays était un brillant joueur de baseball, dans ma vision, c’était un homme extrêmement simple mais empreint de dignité. Une figure culturelle centrale au milieu des années 60. A un moment, il y allait avoir des émeutes à San Francisco – il jouait pour les San Francisco Giants – et le maire de la ville ne savait pas quoi faire. Il faisait très chaud, pas loin de cinquante degrés, et la ville allait connaître une éruption de violence. Le maire a appelé Willy Mays pour lui demander de faire une allocution radiophonique. Qui aurait pu parler à tout le monde comme lui ? Parce que tous écoutaient Willy Mays : les noirs, les blancs, les pauvres. Parce que c’était un personnage tellement humble, charismatique et digne. Aucun policitien n’aurait pu faire comme lui et parler à tous
Mon pays vit une terrible période, une de ses plus noires de son histoire.Quand quelqu’un comme moi pense à ses enfants, il songe : "ça ne pourrait pas être pire". Et puis je pense à l’époque où Willy Mays était une star, dans les années 60. Kennedy venait d’être tué, Martin Luther King, Malcolm X, Robert Kennedy. La guerre du Vietnam, 650000 victimes américaines ! Sans compter des milliers de victimes vietnamiennes dont on ne parlait pas, des civils. Le watergate ! Je suis sûr que si j’avais été parent à l’époque, j’aurais regardé tous ces événements en pensant la même chose : "les choses ne pourraient pas être pire" ».


Deux liens, l'un pour regarder "Civil War" enregistré le jour où j'ai fait mon interview (il y a pas longtemps, lire mon portrait de Joe dans le magazine Keyboards Recording) par les bloggers du Cargo.



Autre lien pour voir "Time Is A Lion" sur le site de Joe Henry
http://www.joehenrylovesyoumadly.com/media/video/joehenry_timeisalion.mov

mercredi 19 septembre 2007

Chuck Klosterman


Il est un peu le Nick Hornby américain, sauf qu’il est américain et a finalement peu à voir avec Nick Hornby. Certes, les deux aiment le sport et le rock. Mais comme ils n’en ont pas du tout la même vision, la comparaison s’avère aussi bancale que justifiée. Dans un chapitre de ce livre, justement nommé "George Will vs Nick Hornby", Klosterman s’acharne ainsi à expliquer pourquoi le football n’est pas un vrai sport.

Chuck Klosterman, journaliste pour Spin, pigiste de luxe maintenant pou GQ, The New York Times Magazine, a commencé par écrire sur le rock pour, petit à petit, prendre du recul et de la hauteur et s’attaquer aux monuments de la pop culture.
Son premier livre traduit en France, Je, la mort et le rock’n’roll était une sorte de parcours autour des morts du rock’n’roll alors que le second Sexe, drogues et pop-corn parle de l’attraît exercé sur les filles par John Cusack, de The Real World, l’émission de télé réalité de MTV, d’un groupe – clone de Guns’n’Roses ou des Sims. Klosterman ébauche des théories à moitié fumeuses comme l’enfant de Lester Bangs et de la société de consommation qu’il est. Malgré la trivialité apparente de la plupart des sujets abordés, ces articles dessinent un portrait pertinent de l’Amérique vue de l’intérieur pour quelqu'un qui n'y vit pas.

La principale raison pour laquelle il faut lire Sexe, drogues et pop-corn tient à l'humour ravageur de Klosterman. Certains passages sont à pisser de rire et je ne résiste pas au plaisir de citer une des 23 questions que Klosterman prétend poser à tous ceux qu’il rencontre pour savoir s’il va « vraiment pouvoir les aimer » :


« Vous rencontrez l’âme sœur. Toutefois, il y a un hic : tous les trois ans, quelqu’un va lui casser les deux clavicules avec une clé à molette, et vous n’avez qu’un moyen pour empêcher cela : une pilule qui fera – à vie – sonner chaque chanson que vous entendrez comme si elle était interprétée par le groupe Alice In Chains. (…) Prendrez-vous cette pilule ? »

Sexe, drogues et pop-corn, édition Naïve.
PS J'avais écrit ça juste avant de partir pour Brest, un peu à la va-vite. Ou alors mon correcteur d'orthographe m'a joué des tours (parce que Horny pour Horny et Bands pour Bangs, ça me paraît suspect) ou alors j'ai vraiment merdé. Merci pour votre clémence...

St Vincent


Il y a l’air d’avoir un petit engouement quasi-général sur le groupe Bat For Lashes, groupe bien sympathique quoique singulièrement inintéssant à partir du moment où on cherche des émotions et pas un truc en boîte bien lisse. Mieux vaut essayer St Vincent, soit l’Américaine Annie Clark qui a tourné avec Sufjan Stevens sur la tournée 2006 de celui-ci et a fait partie de Polyphonic Spree, secte pop à toge (ceci pourrait d'ailleurs être un mauvais point).


Au niveau sonore déjà, cet Annie aime les surprises, les ruptures rythmiques et une qualité musicale venant du jazz et du blues, tout ceci traversé de chorus de guitare électrique brefs mais intense. Puis elle possède une voix pleine qui peut affirmer sa sensualité ici et rappeller là celle de Nico. Coïncidence, elle a justement repris une chanson de l’Allemande cold sur un maxi précédent.
Suivent quelques prestations, dont l’une dans un taxi, plus brutes que le disque, assez sophistiqué sans être précieux. Avec la reprise de "Theses Days".


Et moi je m'enflamme comme un abruti alors qu'elle était à Paris il y a dix jours...

http://www.ilovestvincent.com/


PS Son album s'appelle Mary Me, du nom d'une de ses chansons...

St. Vincent - Your Lips Are Red (DUMBO session)

The Black Cab Sessions. Chapter Eleven: St Vincent

St. Vincent - These Days (DUMBO Session)

La reprise de Nico.

Rétrospective Joe Henry Partie 2


Episode 6


Et puis soudain, Joe Henry n’a plus été un chanteur américain empêtré dans les traditions, prisonnier de son songwriting.

« Je devenais complètement frustré par les disques que je sortais. J’avais l’impression de ne pas savoir comment faire, d’être perdu dans le noir. J’avais l’impression de passer à côté, j’étais malheureux. Prenons l’exemple de Kindness Of The World, un disque que certains apprécient beaucoup, je ne pouvais pas arrêter son enregistrement pour le recommencer, je n’avais pas assez d’argent. J’ai donc dû le finir. Mais je me suis promis que je ne continuerais jamais plus à travailler de la même manière. Il fallait que j’apprenne une nouvelle méthode. Avec Trampoline, j’ai eu un home studio, je travaillais chez moi, je ne regardais pas l’heure tourner comme avant, quand je payais la location du studio. J’ai repensé mon songwriting d’un point de vue rythmique. Avant, je laissais les paroles me mener. Sur Trampoline, ce sont les dernières choses auxquelles je me suis attaqué. Je m’intéressais surtout aux rythmes, aux textures ».


De fait, Trampoline (1996) n’a presque rien à voir avec ce qui le précédait. Rythmiques originales, palette sonore aggrandie, structures minimales ou déconstruites : Henry devient seul maître à bord et s’éloigne de l’americana pur jus, des sentiers country-folk-rock déjà balisés. Les paroles prennent une touche impressioniste, Henry se libère, reprenant même avec ferveur “Let Me Have It All” de Sly Stone. Et dans son groupe d’accompagnateurs, on trouve Page Hamilton d’Helmet ! « C’est un fantastique guitariste rythmique. C’est aussi un fan de Miles Davis, et on a le même manager. Ce qui m’excitait avec lui c’est d’essayer d’imiter le Miles Davis électrique avec des rythmes lourds, des ambiances métalliques… »

Joe Henry (épisode 7)


Logiquement, le suivant présente la même richesse. Fuse (1999) sonne un peu comme si Elvis Costello ne s’était pas replié sur la tradition et avait ouvert son écriture plus de modernité. Car il y a aussi cette voix un peu enrouée qui sonne comme celle de Napoleon Dynamite (un des pseudos de Costello). C’est un des meilleurs Joe Henry, un de ceux par lequel on peut commencer à remonter les branches de l’arbre discographique. Peu de guests cette fois-ci à part le guitariste feu Chris Whitley et la fanfare de la Nouvelle Orléans The Dirty Dozen Brass Band. Et en cloture une jolie reprise de “We’ll Meet Again”.

Joe Henry (épisode 8)


Pour Scar (2001), Joe s’est constitué un groupe d’accompagnateurs de ouf malade. Entre autres, Me’shell Ndegeocello, le pianiste Brad Meldhau ou le guitariste Marc Ribot sont présents pour épicer et donner de la chair à ses chansons. Surtout, il y a le saxophoniste free Ornette Coleman qui surclasse tout le monde, ponctuant les morceaux dont celui d’ouverture “Richard Pryor Adresses A Tearful Nation”, de solos fragiles et poignants. L’album, qui contient d’ailleurs “Stop”, le tango qui deviendra chez Madonna “Don’t Tell Me”, se finit d’ailleurs par son sax en liberté.
Sur “Stop”, Henry m’a dit :
« Quand je l’ai écrite, je la trouvais stupide, non pas idiote mais inhabituellement simple par rapport à ce que j’écris normalement. J’étais presque embarrassé, je trouvais ce texte trop évident. Je ne savais pas quoi faire, j’ai fait écouter une version démo à ma femme, j’étais tellement gêné… “Est-ce que tu trouves cela bon ?”. Moi, je ne savais pas, je l’avais écrite même pas une heure auparavant. Ma femme me dit : “ne t’inquiète pas : quand tu crois être trop évident, crois-moi, tu ne l’es pas !”. Je ne suis pas sûr que c’était un compliment mais en tout cas, c’était instructif ! »

Par rapport au casting qu’il construit pour chacun de ses albums :
« Je trouve excitant, c’est comme être un directeur de film. Je suis excité par tel et tel acteur et je les fais jouer ensemble sans savoir pourquoi mais en pensant que cela va être intéressant. C’est la partie la plus excitante, tu prends la chanson comme base de ton travail et tu imagines tous les environnements sonores possibles ».

Joe Henry (épisode 9)


Tiny Voices (2003) poursuit sur la voie de Scar et le résultat est grandiose comme du Tom Waits. Cette comparaison n’a rien de gratuite et elle ne signifie pas que Henry singe Waits. Non, il s’agit d’un esprit commun. Par rapport à ses fréquentations de jazzmen (sur Tiny Voices, c’est le clarinettiste Don Byron qui est présent), Henry déclarait : « En tant qu’instrumentiste, je ne peux pas être un jazzman. Mais, dans l’esprit, je suis comme un jazzman, je respecte complètement la structure de la chanson mais en même temps je suis intéressé par la libération qu’elle peut t’apporter. Je suis un artiste de jazz de la même manière que The Clash étaient des chanteurs de folk ».
Tiny Voices, c’est comme du Bunuel, selon Henry. La suite, la semaine prochaine. Car vient de sortir Civilians, son 10e album.

Pour finir, faites un tour sur The Hype Machine pour écouter quelques-uns des nouveaux titres de Joe Henry. Et voici un lien pour un duo datant de l’année dernière à South By Southwest entre Henry et Billy Bragg. Il existe tellement peu d’images de concert, c’est désespérant. Alors qu’il y a quatre ans, il avait joué à l’Hôtel du Nord et à la Java parisienne. Si j’avais su, j’aurais filmé ça. Non, pas avec mon portable…

http://hypem.com/artist/joe+henry



mardi 18 septembre 2007

Klezmer 3




J’avoue, je montre envers Joann Sfar une fidélité quasi-aveugle *. Mais j’aime la vie qui se dégage de ses innombrables livres. Dans le troisième Klezmer, tout n’est pas réussi (loin de là) et certaines cases, dessinées vite, sont franchement ratées. Pas grave : Sfar ne cherche pas à être parfait, il préfère retrouver donner du temps à ses nombreux personnages plutôt que de jouer le perfectionniste. « Bien entendu, je suis content lorsqu’il est question de dessiner, mais quand il s’agit de Klezmer, j’aime encore mieux. Je me dis : “ils reviennent”. Et j’ai hâte de les retrouver sur les bords de la Mer Noire », écrit-il ainsi en haut de la première planche. C’est cet enthousiasme que je trouve contagieux. Et puis les personnages de Klezmer, musiciens à moitié voyous, sont attachants et drôles. L’intrigue de Tous des voleurs est assez lâche, elle pourrait tenir en moitié moins de pages mais Sfar l’étire. Pas parce qu’il n’a rien à dire, simplement il a plaisir à les montrer jouer, il a plaisir à manier les aquarelles de manière surprenante (parfois, c’est flashy). Les cases se bousculent, le jaune se bat avec le vert, lui-même éclipsé par le violet, etc.
Fin novembre de l’année dernière, alors que je le rencontrais pour la sortie du quatrième Chat du rabbin, il me disait :
« J’apprends beaucoup en jouant du violon. Ce que l’on fait avec un archet c’est proche de ce que l’on fait avec une plume. Je n’ai jamais de réflexion théorique sur le dessin parce que ça m’empêche de dessiner tranquille ; en revanche, j’aime bien développer une pensée sur le violon. Et comme je suis mauvais musicien, je peux réfléchir. Ça me sert ensuite pour le dessin… Autant le dessin que je pratique dans Le Chat du rabbin est celui du conte traditionnel, très posé et soigné à ma façon, autant ce que je fais dans Klezmer c’est de la musique en dessin. Il y a du blanc entre les lignes, de l’aquarelle qui est jetée ».
Cet album, qui se finit par des souvenirs d’un séjour à Odessa (Sfar ne sait pas être bref, on ne va pas lui reprocher) est donc un ode à la musique, un beau livre d’images, un récit plein de sexe et de bandits.
Tous des Voleurs - Klezmer 3 - Maquis/Gallimard
* A priori, cette seule ligne devrait déjà justifier un commentaire de notre ami Li-an…

lundi 17 septembre 2007

Rétrospective Joe Henry (première partie)

Là, il s’agit de ne plus plaisanter. Ceux qui me connaissent très bien savent que ce type est devenu une sorte de héros, de modèle. Pour ne pas me perdre dans des envolées lyriques (et tomber dans le vide comme Beep Beep le coyote), voici déjà un résumé très factuel.
Depuis 1986, il est l’auteur de dix albums dont le dernier Civilians est tout fraichement sorti (la semaine dernière). Il a produit aussi des disques de Meshell Ndegeocello, Elvis Costello & Alen Toussaint, des légendes de la soul comme Solomon Burke, Bettye Lavette, Ani Di Franco, Kristin Hersh, Shivaree. Il a aussi participé à des BO comme celle du film de Todd Hayne sur Dylan. Son Cv ne tient pas sur toute la page, je m’arrête là.
Ah, il est aussi marié avec une sœur de Madonna qui a chanté une des chansons, “Stop”, rebaptisée “Don’t Tell Me”. Les deux (Madonna et Joe) ont chanté en duo une chanson de Vic Chesnutt pour la compile Sweet Reliefs.
Voilà, ce qui précède constitue la petite notule biographique habituelle. Mais ça ne raconte rien.
Alors je laisse Joe Henry se raconter :
« Je ne suis pas né à Detroit mais j’y ai déménagé au moment de lycée. Si bien que mes années les plus formatrices, je les ai vécues près de Detroit. Comme mes parents déménageaient souvent, j’étais toujours le nouveau, je devais me faire accepter par les autres. A Detroit, j’ai commencé à faire des boulots, gagner un peu d’argent qui me servait à acheter des disques, j’en empruntais aussi à des amis.
La première chanson que j’ai écrite je devais avoir vers 14 ans, 15 ans. C’était très folk, je venais juste d’apprendre à jouer de la guitare et j’avais dû passer par les mêmes chansons de Bob Dylan qui servaient aux autres. En fait, aussi j’ai toujours été un musicien. Même bien avant que je sorte mon premier disque. J’ai toujours travaillé sur des chansons, des démos et à côté je faisais des petits boulots pour survivre : j’ai travaillé dans une librairie médicale, j’ai cuisiné, etc. Rien qui n’occupait mon cerveau trop longtemps. Je pensais à mes chansons. Il n’y a aucune carte pour obtenir du succès. Chacun emprunte sa propre voie. Ou plutôt on doit la trouver dans le noir".

Joe Henry (épisode 1)


Son premier disque, Talk Of Heaven (1986) est un coup d’essai plutôt maladroit. On sent qu’Henry n’est pas sûr d’où il va et surtout la maison de disques d’alors essaye de le modeler en nouveau songwriter à la John Cougar Mellecamp. J’exagère parce que ce n’est pas le pire de tous. Le groupe qui l’accompagne, The Slang ( !) joue plutôt bien. Au final, rien de déterminant ni de déshonorant. A signer une reprise de Van Morrison.


Joe Henry (épisode 2)


Le deuxième, Murder Of Crows (1989), s’avère paradoxalement plus personnel (au niveau des textes) et plus raté. Là, sa maison de disques met des moyens et débauche un sacré gang de requins de studios : Mick Taylor, l’ancien Stones à la guitare, le bassiste Tim Drummond… Tout ce monde s’emploie à bien faire sonner « rock propre » les chansons de Joe Henry qui demandaient un peu de délicatesse. « Cela a été difficile parce que la personne qui m’a signé a été virée dès que je suis arrivé. Ce disque ressemble le plus à un compromis, il sonne plus rock que j’en avais envie », m'avouait-il en 2003.

Joe Henry (épisode 3)


Shuffletown (1990) montre qu’Henry est sur la bonne voie. Surtout, il a un allié, le producteur T-Bone Burnet qui sert d’interface entre la maison de disques et Henry. Fini le rock un peu Fm, place à des ballades folk-jazz. Les textes sont très beaux mais il note encore un peu de fantaisie, de couleurs dans des compositions trop classiques. A noter la présence de Don Cherry, le trompettiste free, première acquointance avec le monde du jazz.

Joe Henry (épisodes 4 et 5)




Les 4e et 5e albums, il les enregistre avec The Jayhawks, groupe de country-rock entre les Byrds et Gram Parsons (qui a fait partie des Byrds). Le premier, Short Man’s Room, c’est un peu un joli costume un peu taillé à la va-vite. Pour le suivant, Kindness Of The World, Henry a anticipé et adapté ses chansons aux futurs et doux arrangements country des Jayhawks. J’ai d’ailleurs commencé par cet album, convaincu par une chronique de Rock à Folk – ça remonte à 1993. L’humeur un peu mélancolique d’Henry trouve cette fois-ci un costume (un peu de bucheron) bien à sa taille et l’album se réécoute toujours. Mais le meilleur n’est pas encore là.
La suite bientôt.

Pour patienter, de quoi se faire une idée du John Henry pas encore décoincé avec cette chanson roots, interprété seul. Je comprendrais que ça ne vous donne pas envie d’aller plus loin mais ce sont les seules images que j’aie trouvées de cette époque.

Joe Henry King's Highway

vendredi 14 septembre 2007

Babyshambles - Delivery

Babyshambles, pas morts

Depuis qu’il est surtout présent dans les torche-cul people, c’est difficile de garder en tête que Pete Doherty est une moitié de génie. Pourtant, ça n’est que la vérité et qui sait ce qui arriverait s’il se (re)prenait en main. J’entends déjà les railleries de certains. Qu’ils réécoutent les deux albums des Libertines, du rock anglais dans toute sa flamboyance à l’éternelle jeunesse...
Pour l’instant, Babyshambles, le groupe de Doherty formé après qu'il a été viré des Libertines pour trop de tout (drogues, délires, etc.) a été un demi-fiasco. Des singles qui avaient quelque classe (“Fuck Forever”, "Killamangaro"), un album ni raté ni abouti avec tout de même des chansons qui me tireraient presque les larmes – “Loyalty Song” par exemple. Et puis des concerts le plus souvent erratiques avec comme archétype le passage à Rock en Seine il y a deux ans où Doherty anonnaît des bribes de morceaux (j’ai manqué les autres concerts parisiens qui étaient meilleurs selon la rumeur).
Maintenant que presque tout le monde se fout de savoir si le duo Doherty/Moss existe toujours, que Pete ne se balade plus constamment un couteau à la main, on va pouvoir s’intéresser au deuxième album de Babyshambles, Shotter’s Nation. Le premier single, “Delivery” est honnête, poppy et mélodique comme Doherty peut l’être. Plus intéressant, on trouve sur le site du Time un inédit à télécharger, “Lost Art Of Murder”, ballade émouvante chantée par un Doherty juste accompagné par le chanteur et guitariste folk vétéran Bert Jansch.
La suite le 1er octobre.

Le lien pour télécharger “Lost Art Of Murder”
http://entertainment.timesonline.co.uk/tol/arts_and_entertainment/music/article2400756.ece

PS un vinyle dans le dernier NME avec en couv' les Babyshambles.

jeudi 13 septembre 2007

Reprise d'Arrêt sur Images

Au moment où je tape frénétiquement ces quelques lignes, il reste 2780 heures à attendre le retour d’Arrêt sur Images (janvier 2008). Ce n’est pas que je sois fort en calcul mais c’est que le site http://arretsurimages.net/ affiche le compte-à-rebours. Ça y est, Daniel Schneidermann et son équipe ont tranché, non seulement ils ont choisi comme support le net mais ils ont opté pour l’indépendance complète (pas de pub). Souscription est donc lancée pour financer l’ouverture du schmilblick et plusieurs solutions sont possibles : payer 3 euros par mois (soit 30 euros par an, juillet et août ne comptant pas) ; 1 euro par mois pour les plus démunis d’entre nous. Il y aussi la possibilité d’envoyer un argumentaire pour expliquer pourquoi on ne veut pas payer et obtenir le statut d’ « ami radin ». Je n’invente rien, tout est là : http://arretsurimages.net/abonnement/inscription

Si vous en avez marre des collusions d’intérêt en cours dans les médias nationaux, les trafics, les non-dits, les censures (auto-) ou pas. Il ne faut pas hésiter. Parce qu’on ne sait pas où on sera en janvier mais une seule certitude : les choses ne se seront pas arrangées…

Frank Black Francis - Threshold Apprehension - Live 2007

Interview de Frank Black Francis


« Je ne suis pas Madonna mais j’essaie »


Une compilation en juin, un nouvel album, Bluefinger, en septembre : le programme de Frank Black est chargé cette année. Malin et bien déterminé à faire parler de lui en dehors de la reformation des Pixies, il a décidé de reprendre le nom d’artiste qui l’a fait connaître : celui de Black Francis. Rencontre avec un boulimique de musique qui n’aime pas trop réfléchir et change régulièrement de musiciens (« je ne choisis pas les meilleurs mais ceux avec qui je vais pouvoir m’entendre et réussir notre mission commune : faire un bon disque »).


Tu n’arrêtes jamais de donner des concerts, de sortir des disques. Tu es infatigable ?
Pourquoi j’arrêterais ? Je ne sais rien faire d’autre que de la musique. Je ne vais pas aller en mer avec mon yacht. Je suis un troubadour. Et puis, combien de disques ont sorti Lou Reed, Neil Young ou Elvis Costello ? Si c’est bien pour eux, alors c’est bon pour moi, non ? Quand tu as beaucoup d’énergie, il faut t’en servir.

Tu as quatre enfants, c’est facile de rester actif tout en ayant une vie de famille ?
Pas vraiment mais, en même temps, j’utilise mieux le peu de temps dont je dispose. Il m’arrive de courir au studio et je n’ai rien à enregistrer. Je demande à l’ingénieur du son : « prépare moi le micro, j’aurai une chanson dans une minute ! ». Avoir une famille, ça te force à être bon, à travailler très vite. J’aime avoir ce genre de contraintes. J’ai un autre projet avec ma femme, on s’y met quand notre fille au pair s’occupe de nos enfants. On court au studio et on tape rapidement sur nos instruments. On fait de la musique sans y penser – enfin, surtout moi. Ça sonne très pop et aussi très brut parce qu’on joue tout nous-mêmes.

Ton nouvel album, Bluefinger, a été enregistré en cinq jours…
Je sais comment ont été conçus certains disques des sixties que j’adore. Les jazzmen, par exemple, enregistraient très rapidement. Frank Sinatra en un jour : « allez, les gars, on y va. Il est cinq heures, j’ai une fête ce soir ». Quand tu travailles rapidement, parfois ça marche, parfois non.

Ça t’est déjà arrivé de mettre à la poubelle des chansons ?
Non, j’en fais un disque, ha ha ! Malheureusement, je n’ai aucun recul sur mon travail. Mais je ne crois pas non plus avoir des regrets.

Tu reviens avec quelque chose de plus rock après être allé à Nashville pour tes précédents disques, plus country, folk ou soul….
En allant à Nashville, je voulais simplement marcher sur les pas du Dylan de Blonde On Blonde. Personnellement, je n’avais pas besoin de revenir au rock. Mais mon public si, il en avait marre de Nashville.

Bluefinger est consacré au musicien hollandais toxicomane (un temps fiancé à Nina Hagen) Herman Brood. Pourquoi ?
Je regardais sur youtube de ses concerts tout à réfléchissant à de nouvelles chansons – mon nouveau manager me demandait un inédit pour mon best of. Rien n’a été planifié, il faut accepter ce genre de choses. Avec les Pixies, on lutte pour enregistrer un nouvel album, on dépense beaucoup d’efforts à discuter entre avocats interposés. Comme dit ma femme : au lieu d’aller vers l’énergie négative, va vers la positive !

Tu savais en reprenant le nom de Black Francis que tu allais faire parler de toi…
Bien sûr. Comme tout le monde, je sais comment manipuler les médias. Je ne suis pas Madonna mais j’essaie. Je ne pense pas que tout le monde accepte cette manipulation mais pour beaucoup ça va être : « Black is back ». Il faut savoir se venger des journalistes : ils trahissent mes mots, mentent. Alors, je joue un petit jeu !

C’est vraiment ton père qui a trouvé, au début des Pixies, le pseudonyme de Black Francis?
Oui, je cherchais un nom de scène et c’est ce qu’il m’a proposé. J’ai dit : « ok, ça sonne bien ». Et je ne me suis pas livré à une analyse. Est-ce que je t’ai dit que j’étais un serpent ?

Heu non. Comment ça, un serpent ?
Je suis né en 1965, l’année du serpent. Le serpent ne regarde pas la route en se disant : « voici ma vision artistique ». Il n’a aucune perspective de son environnement, il sent juste ce qu’il y a sous son ventre et réagit à ce qui se passe. Depuis que j’ai compris être un serpent, ça me permet de me défiler pendant les interviews. Si on me demande à quoi je pensais en reformant les Pixies, je réponds : « je ne sais pas, je suis un serpent ».

Tu n’a donc aucune vision à long terme ?
Non, je n’aime pas regarder vers l’avant. Les managers et promoteurs essayent toujours de me projeter dans l’avenir. Moi, je veux juste penser à aujourd’hui, demain, et peut-être la semaine prochaine. Pour moi, plus loin ça devient abstrait.

Voilà, plus haut un extrait de son passage à Toulouse en juin avec, justement, le morceau le plus punchy de Bluefinger.

mardi 11 septembre 2007

L’underground retourné


J’ai laissé passer le coche quand Tony Wilson, le patron de la Factory, est mort, alors je ne vais pas oublier de saluer Jean-François Bizot, sacré agitateur d’idées sans qui la France aurait été différente (déjà qu’actuellement, elle ne respire pas la fantaisie…).
A Nöel dernier, mon amie m’a offert ce beau livre, recueil de fac-similés des fanzines datant des années 60 et 70.Un beau bordel qui partait dans tous les sens, un concentré d’utopie et de délires (la Free Press était une sorte d’internationale de l’underground qui permettait aux différents fanzines d’échanger des papiers gratuitement). Bizot pour l’occasion avait ouvert ses archives personnelles et voir ses pages pleines d’idées et de subversion reste une expérience étonnante.
Que je sache, c’est le dernier livre dont Bizot se sera occupé. Le fondateur d’Actuel, de Radio Nova est mort à 63 ans dimanche du cancer et ça fait un peu court. Je l’avais croisé une fois dans l’ascenseur de Radio Nova alors que j’allais participer à Test, l’émission d’Ivan Smagghe (on parle de la fin du précédent millénaire). J’étais simple chroniqueur et lui m’avait dit en rigolant, voire en se foutant de ma gueule: « ah, vous devez être quelqu’un d’important si Ivan vous reçoit ». Un souvenir court mais qui m'a marqué. J'aurais bien aimé le rencontrer plus longuement...

lundi 10 septembre 2007

Jukebox : Basia Bulat


Un disque de folk, un peu triste mais pas tant qu’on peut écouter toute la journée. Oui, ça existe.

Où cette petite Canadienne a-t-elle appris àchanter comme ça ? Sur son premier album, Basia Bulat démontre une maturité vocale assez bluffante. En fait, elle a une voix qui fait appel à des émotions plus vieilles qu’elle, des émotions qui la dépassent et dont elle s’empare avec culot comme si elle avait vécu dix fois plus de choses que nous. On est loin de la brancherie néo folk à la Devendra Banhart (dont le nouvel album est pourtant très bien), bien moins sincère.
Le disque de Basia, enregistré avec des copains, des cordes (de guitare, violon et piano) et des percussions est un petit miracle d’amateurisme éclairé. On a constamment l’impression d’assister à sa naissance, on s’émerveille devant des trouvailles de rien, des arrangements simples qui tombent à propos. Le mieux est encore de l’écouter, voici trois prestations live avec une reprise de “Someday” des Strokes (datant de deux ans), “Snakes And Ladders” (titre le plus mouvementé) et “Little Waltz”, malheureusement coupé, deux morceaux qu’on retrouve sur son album Oh, My Darling.
Son site http://www.basiabulat.com/

Basia Bulat @ crawdaddy, dublin, 27.05.07

Basia Bulat - Snakes and Ladders - live in Brussels

Basia Bulat - Someday

vendredi 7 septembre 2007

Tender Forever

Comme Troy Van Balthazar (dont on aimerait des nouvelles), la Française Mélanie Valera se débrouille seule. La femme orchestre bricolo de Tender Forever, accueillie par la scène indé américaine réussit même où plein de groupes dans lesquels on avait pu placer quelques espoirs (Lali Puna, etc) se sont plantés. En effet, entourée de machines et de claviers, elle met à profit les textures de l’electronica pour en parer de manière naturelle ses chansons, sorte de tendre folk-pop écorché et tendre, sans tomber dans l'immobilisme ambient ou l'electropunkerie.
Son deuxième album est prévu pour octobre mais je ne résiste pas (pardon à celles et ceux qui connaissent déjà) au plaisir de partager ces prestations vues sur le net, datant de l'année dernière. Bien qu’elle soit seule sur scène (et donc ne joue pas vraiment en live) elle fait oublier cet état de fait. Car son principal instrument est l’émotion. Il faut la voir s’époumoner dans l’émission de Frédéric Taddéi (sur France3) devant un parterre d’invités visiblement touché ou encore, cette fois avec un ukulélé, chez Ground Zero, très bon disquaire parisien. Cette fille ne plaisante pas avec ses chansons. Enfin, tout en bas, un clip assez habité lui aussi.

Tender Forever - Take It Off (2006-11-06)

Tender Forever showcase Ground zero Paris 03-21-07

Tender Forever - Magic of the Crashing Stars

Le grand animateur



Le dédale fantasy fantasque de Donjon poursuit sa progression. Après un épisode dessiné par Larcenet, rigolo comme les autres, la série de Sfar et Trondheim accueille maintenant Stanislas pour un épisode à part pour plusieurs raisons. Dans cette histoire qui se déroule bien bien avant toutes celles déjà parues (« - 400 » sur l’échelle temporelle), celles et ceux qui parviennent à suivre la chronologie volontairement complexe de Donjon découvriront de nouveaux éléments de ce puzzle joyeusement éclaté. Plus à l’aise à priori dans des univers franco-belges classiques (voir la réédition des Aventures d’Hergé, une bio de Simenon des mêmes Bocquet-Fromental-Stanislas serait en préparation) le dessin ligne claire très statique et désincarné de Stanislas se plie bien à cette fable remplie d’automates (qu’on peut lire indépendamment de toute façon). Donjon continue d'être une espèce de laboratoire graphique. Je sais que certains ont décroché avec le temps, pourtant l'aventure continue de valoir le coup.


Prochain Donjon prévu en novembre, le 6e Donjon Zénith (dessiné comme le précédent par Boulet). Le flot ne se tarit pas, c'est aussi ce qui est génial.

Jukebox de rentrée : Meshell Ndegeocello

Précédé par un mini très nerveux, l’album de la chanteuse américaine Meshell Ndegeocello valide en partie le virage rock. En partie seulement parce que les titres les plus remuants (les meilleurs) “The Sloganeer” et “Article 3” se trouvaient déjà sur ledit mini-album.
The World Has Made The Man Of My Dreams n’en propose pas moins une musique spirituelle et pleine de reliefs, entre soul africaine (la chanteuse Oumou Sangaré donne de sa sublime voix sur une chanson), jazz et black rock (vous vous souvenez de la Black Rock Coalition ?).
Petit extrait de “The Sloganeer”, capté live à Detroit jusqu’au moment où la personne s’est fait blackboulée….

meshell ndegeocello - THE SLOGANEER

Le son est pas terrible, la chanson coupée mais ça donne un aperçu.

jeudi 6 septembre 2007

Earl & Mooch




Je l’avoue tout de suite : je ne connaissais pas du tout cette série, créée en 1994 sous le nom original de Mutts et publiée sous forme de strips quotidiens. Un chat et un chien qui sont copains, leurs maîtres, d’autres animaux…D’apparence, ça ronronne comme le petit déjeuner d’un dimanche matin. Mais le coup de patte de Patrick Mc Donnell réveille le lecteur, prêtant des habitudes d’humains à Earl et Mooch, des traits d’animaux à leur maître. Il arrive à faire vivre ses personnages, nous immerger dans leurs systèmes de pensée au point qu’on finit par les comprendre et rire avec eux (plutôt que d’eux). Et il y a de vraies fulgurances dignes des meilleurs cartoonists. Mc Donnell est apparemment un spécialiste de Krazy Kat et, la vacherie en moins, il y a effectivement un air de famille. Les fans de Calvin & Hobbes devaient s’y retrouver aussi. Du bonheur...
Les Humanos rééditent l’ensemble de la série dans des volumes chronologiques en noir et blanc qui coûtent dix euros. Deux sont déjà parus.
Sur le site officiel de Mutts, on peut lire les strips récents et c’est toujours drôle 13 ans après les débuts, bravo monsieur.

http://muttscomics.com/art/dailyarchive.asp

mercredi 5 septembre 2007

La rentrée

Oui, avant d'évoquer le cas de Devandra Banhart, le retour de Robert Wyatt, les jeunes pousses de 1990's, Patrick Watson ou le retour de Springsteen (qui donne dans le pompier, c'est horrible si on se fie au premier single), un petit plaisir à partager : la prestation d'Amy Winehouse lors de la cérémonie du Mercury Prize (c'était hier). Le Mercury Prize c'est l'équivalent anglais des Victoires de la Musique sauf que là-bas ils écoutent de la bonne musique.
Le trio electro-pop amateur de montagnes russes Klaxons a gagné, ce qui est justice. Amy, elle, a perdu, elle est sortie de désintox' (ou elle s'est évadée) et elle chante, seulement accompagnée d'une guitare acoustique. Si certains la considèrent (les cons) comme une poupée bien formatée, voici une énième preuve qu'ils se trompent. Une vraie chanteuse de soul, capricieuse, insupportable mais à la voix terrible, pleine de grain et d'émotions contradictoires.

Amy Winehouse performs at the Mercury Awards

Tom Strong 3


(Je voulais me lancer dans un grand exposé sur Alan Moore, essayer de démonter ces séries en plein de petits cubes. Et puis voilà, pas le temps, donc j’envoie en éclaireur Tom Strong 3 qui vient juste de sortir en France (on attend la suite, publiée depuis belle lurette en anglais)…

S’il est surtout connu du grand nombre pour From Hell et V for Vendetta, le grand raconteur d’histoires Alan Moore a aussi révolutionné l’univers des super héros, en agrandissant leur zone d’ombre jusqu’à ce que le regard du lecteur devienne ambigu devant des personnages mentalement instables, parfois peu recommandables, fascinés par l’autorité fasciste. La déchéance des super héros –comme Frank Miller l’a raconté avec Batman – était à la base de Watchmen. Moore et Dave Gibbons, le très bon dessinateur, montraient des héros fatigués et très humains. Ce qui est assez singulier, c’est que Moore a opéré ensuite une sorte de mouvement inverse. Après avoir déconstruit le mythe du super héros, il a voulu revenir à une pureté des codes, à une sorte d’âge d’or qu’il s’efforce de réécrire (en gommant les scories idéologiques). Ce qui précède est bien sûr un raccourci, les publications de Moore sont tellement nombreuses, les thèmes traités foisonnants et s'entrecroisant.
Avec Tom Strong, créé en 1999, Moore poursuivait d’une certaine manière ce qu’il avait opéré sur la série Supreme (qu’il n’avait pas créée), donnant autant dans la parodie que dans l’hommage. Tom Strong est un condensé de plusieurs personnages qui ont marqué l’histoire des comics : de Doc Savage, héros de pulps publiés dans les années 30 et 40 à Tarzan ou Superman. Elevé par ses parents en chambre à haute gravité dans une île des mers du Sud, il devient, grâce à cette éducation spartiate ce personnage quasi-invincible que son père désirait. Recueilli par une tribu après la mort de ses parents, il se marie avec la fille du chef, mène une vie de famille tout en traversant les époques – vu sa condition parfaite, il atteint des records de longévité. Sa femme Dahlua et sa fille Tesla bénéficiant également d’une vitalité et d’une éternelle jeunesse, c’est souvent en famille que Tom Strong vit ses aventures.
Dans les trois volumes de Tom Strong publiés en France (le dernier est sorti en plein été chez Panini Comics, il en reste encore trois), Moore et le dessinateur Chris Sprouse (trait bien dynamique, mouvement bien rendu, du solide) s'emparent ainsi les clichés du genre (la méchante pin-up nazie, le méchant Paul Saveen) tout en les traitant selon des angles originaux. Au lieu de se déployer sur des centaines de pages, les histoires de Tom Strong intègrent ainsi la propre mythologie de Tom Strong (presque) comme un personnage à part entière. Les flashback permettent donc d’étoffer l’intrigue de manière exponentielle, les « monstres » sont bien plus complexes que ceux des comics vraiment old school.
Au final, Tom Strong est une série maligne, un divertissement plus sophistiqué que l’utilisation des clichés précités pourrait le laisser supposer.
Bientôt plus sur Alan Moore… peut-être.

Twin Peaks parody in The Simpsons

Demain, le feu marche avec moi


Comme annoncé il y a cent mille ans, sortie française demain du premier coffret Twin Peaks. On ne va pas se répéter et prétendre que c’est la meilleure série jamais réalisée. Tranquillement, je m’achemine vers une 7e vision et je n’ai toujours pas compris qui a tué Laura Palmer… Sans blague, impossible de s’en lasser.

Depuis pas mal de temps, les fous de Twin Peaks bénissent (même s’ils sont athées) ce fan américain qui s’est rendu sur les lieux de tournage. Son blog est magique.
http://www.intwinpeaks.com/

Plus bas, le générique du début et au-dessus une parodie des Simpsons (quelle intelligence dans la parodie, bravo).

PS Li-An a dû finir son prochain livre en vitesse car il vient de le recevoir et va hiberner pendant des semaines, se repassant inlassablement les scènes où Audrey Horne danse...

Twin Peaks Intro

Le générique dont on ne se lasse jamais. Surtout que tout est présent, là, sous nos yeux.

mardi 4 septembre 2007

Benjamin Biolay-Dans La Merco Benz

La métamorphose (?) de Biolay

Notre époque est celle des apparences qui cachent les béances, du carton pâte érigé en carapace. D’où la volonté de Benjamin Biolay de faire croire à une version de lui différente de lui-même. Ça a commencé pendant l’été avec une couve de Technikart sur laquelle Biolay, l’air teigneux, proclamait sa détestation de la chanson française. Allusion au livre de Luz, Je déteste la chanson française, livre qui le brocardait gentiment aux côtés de Vincent Delerm, Cali et plein d’autres. Apparemment, si Delerm avait bien pris la chose – au moment de la promotion de son dernier album, tout le monde lui en parlait – apparemment, Biolay a été moins souple. D’où cette posture, cette protestation : « hé moi aussi, je déteste la chanson française ». Je n’ai pas lu ledit Technikart mais j’imagine que Biolay devait s’ingénier à parler d’electro, de groupes de rock branchés ou de compositeurs classieux. J’imagine, hein. Bizarrement donc, il voudrait se démarquer de cette chanson française qui a employé ses services depuis une dizaine d’années, de Salvador à Juliette Gréco. Ça le regarde. Plus bizarrement encore, je sens naître une campagne médiatique pour valider cette pseudo-métamorphose dark. Alors que si on écoute son nouvel album Trash Yéyé (le précédent était plus rock mais le maquillage n’a pas tenu), on entend bien de la chanson française, habilement arrangée, aux textures sonores un peu originales qui donnent certes du relief à l’ensemble mais ne contredisent pas le postulat de base – Biolay fait de la chanson et lui ne peut pas l’accepter. Pourtant il n’y a rien de honteux. Biolay possède un vrai talent de mélodiste ce qui n’empêche pas ses chansons de manquer définitivement d’âme (les sentiments sont glacés). Ça reste son problème, insoluble. Et il peut inclure « pétasse » dans ses paroles ou jouer au serial killer (référence à un album passé), il ne pourra rien y changer.
Attention, rien de personnel, c’est un grand artisan de la chanson. Il faut réécouter par exemple le premier album de Keren Ann pour s’en apercevoir : de la musique sensible et légère, des chansons qui touchent.
Voici le clip de son nouveau single, agréable sans laisser de trace, clip que l’on peut voir surtout pour Julie Gayet.