jeudi 25 novembre 2010

Des kilos de mangas

(ci-dessous autoportrait d'Hokusai que l'on trouve au musée du Louvre)


Ça sert toujours à quelque chose d’être un ignare. On peut découvrir à n’importe quel moment un artiste à la carrière phénoménale, être ébloui par ses œuvres toute une journée. puis les semaines qui suivent. Après, faut pas clamer trop fort - "je viens de de faire connaissance avec un génie mort il y a trois siècles… ah, tu, il est connu ?". Ou alors adopter l'humble position de l'inculte et se flageller à coups de bambou en se repentant. Troisième solution : se foutre de son ignorance et se féliciter d'être enfin en contact avec ladite oeuvre.

C’est ce qui m’est arrivé – l’ignare c’est moi et plutôt deux fois qu'une– dimanche dernier en lisant le manga de Shotaro Ishinomori retraçant la vie d’Hokusai, maître de l’estampe japonaise du XVIIIe-XIXe siècle.
Sur près de six cent pages, y est donc racontée la folle vie d’Hokusai, dessinateur et artiste éternellement insatisfait qui n’a cessé de chercher son style et, pour symboliser ces étapes, a changé de nom à tour de bras (il aimait signer « le vieux fou de la peinture »).




Ishinomori (mort en 1988 !) dont le style est dynamique et formidable, montre l’exigence du jeune peintre et graveur, ses aspirations, les travaux alimentaires puis le moment où il devient un auteur à la mode. Ses peintures érotiques lui valent pas mal de groupies, son nom est sur toutes les lèvres, il fait école, a des disciples. Mais très vite, il casse tout, offre son nom de vedette à un autre pour mieux redémarrer. Non seulement ce manga est passionnant mais il laisse voir au détour des pages des œuvres du vrai Hokusai. Un peu comme si Li-An, David B ou Emmanuel Guibert dressait la vie de Gus Bofa en reproduisant ses dessins…. Enfin, au sujet d'Ishinomori, je n'ai pas encore compris s'il a inclus des vraies reproductions ou a carrément imité les estampes originales.


En effet, les estampes d'Hokusai étaient en couleur, au contraire du manga - ignorant, je vous ai prévenu.
Ici, un classique - on me l'a dit -d'Hokusai (personne ne suit, bon sang) :
"La grande vague de Kanagawa" ("la vague", pour les pressés), premières estampe d'une série de 46 intitulée Les 36 vues du mont Fuji" - vers la fin de sa vie, Hokusai a fait une fixette sur le mont Fuji, entrainant ses disciples interloqués qui n'y comprenaient rien.

Ici, autre classique mais bien plus vieux, quand Hokusai était dans la force de l'âge et emballait comme un malade, sa veine érotique et troublante : "Le rêve de la femme du pêcheur"

Retour au chemin de l’ignare… Refermant le livre, je me dis : incroyable, cet Hokusai ! M'étonne, les historiens de l’art affirment qu’il a influencé Monet, Gauguin, Van Gogh, des artistes avec qui - j'en fais une affaire personnelle - je ferai bientôt plus ample connaissance...

Pour en voir plus d'Hokusai, ici une exposition virtuelle grâce à la B.N.F. !

Poursuivons maintenant avec Ishinomori qui, en plus d’être le créateur de San Ku Kai (oui, « c’est la bataille »*), a aussi à son actif des palanquées de pages de manga .

Cet ancien disciple de Tezuka – ce qui explique la parenté de leurs traits – a publié Cyborg 09, édité en France depuis l’année dernière – pas encore lu – mais aussi les aventures de Sabu & Ichi. Imaginez, à l’époque d’Edo –ancien nom de Tokyo, entre le XVIIe et XIXe siècle - un jeune détective, Sabu, à qui échoient tous les crimes un peu crapuleux. Heureusement, il est aidé par Ichi, un aveugle et vrai champion du sabre dont le vrai métier est…. masseur. Entre 1966 et 1972, Ishinomori a raconté leurs histoires sur un canevas maintes fois reproduit – découverte du crime, intervention des héros, réflexion autour d’un jeu, le shogi (les échecs japonais, grosso modo) mise à l’index du ou des coupables, bonne séance de baston sanglante à l’issue duquel nos deux héros toujours triomphent… Répétitif ? Of course. Cette routine -les histoires courent sur une trentaine ou une soixantaine de pages - peut autant séduire que lasser. Perso, j'y trouve le charme d'un Spirit japonais, avec ce mélange entre les ingrédients comiques -voire cartoonesques - et des personnages fantastiques (même si, à la révélation, il ne reste plus que des motifs bassement humains).



Plus on avance dans le recueil (1200 pages), plus Ishinomori montre une inventivité incroyable pour exploser son carcan, se servant avec beaucoup de poésie de motifs graphiques comme des boucles, des repères. Ci-dessous une double page où l'on voit Ichi en flashback (les pages ont été noircies volontairement par un esprit malin)

* Allusion à ce satané refrain entré dans le disque dur des plus de trente-cinq ans

Dans la série "Ils sont fous ces mangakas"....

L’imagination de certains me sidère. Rien ne leur fait peur, les scénarios les plus invraisemblables, les mélanges des genres les plus casse-gueule… ils foncent et parviennent à t’emmener dans leur monde tordu. L’intrigue de Death Note était déjà pas mal twisted et morbide mais Deadman Wonderland la bat (presque) à plate couture.

D’abord, il y a un pitch plus que complexe : l’histoire d’un gamin accusé d’avoir tué tous ses camarades de classe – sauf que c’est pas vrai, le coupable c’est un mystérieux «homme en rouge » - et se retrouve dans un prison ouverte au public. A l’intérieur, on y meurt joyeusement tandis que les spectateurs croient que c’est du chiqué, on inocule un poison aux prisonniers qui, s’ils n’avalent pas un antidote tous les trois jours, perdent la vie. Bien sûr, la matonne en chef est sexy et cruelle, le personnage principal cache en lui un super-pouvoir et – j’oubliais – Tokyo a été ravagé dix ans plus tôt par un tremblement de terre…Très gore et intrigante, cette série a son trailer...






Bien plus sage mais très instructive, voici Bakuman, la nouvelle série de Tsugumi Ohba et Takeshi Obata, les auteurs de "Death Note" qui, là, nous montrent de l'intérieur la vie de la revue de référence au Japon, le Weekly Shônen Jump où ont été prépubliées Death Note, Naruto, et plein d'autres. Pour enrober ça, les auteurs ont utilisé un peu de guimauve mais ça fonctionne très bien. L'occasion de s'immerger dans une industrie narrative fascinante.





Et pour finir avec de la musique, le nouveau clip de Don Rimini, le producteur electro dont chaque sortie est à guetter. La vidéo est bourrée d'images subliminales à repérer...

Whatever / Don Rimini from Lionel Hirlé & Grégory Ohrel

That's all folks