jeudi 29 mars 2012

Art Spiegelman : "la fiction, c'est jouer au tennis sans avoir de filet"


Il y a quatre ans, pour un magazine défunt j'ai eu le plaisir de rencontrer Art Spiegelman alors en promo pour la ressortie de son premier livre, Breakdowns, recueil devenu totalement introuvable de ses premières histoires.
Alors qu'il est exposé à Beaubourg - après Angoulême vu qu'il a présidé le dernier festival - que Maus est maintenant accompagné de MetaMaus (son making off, grosso modo, ce qu'il y a dans l'expo), relifting d'une interview qui sera instructive pour ceux qui se plaisent à prétendre : "moi, je lis pas de bande dessinée mais des romans graphiques".


Quand vous étiez gamin, les comics étaient vraiment votre moyen de comprendre la réalité  ?

Absolument. Pour moi, c’était une fenêtre donnant sur le vrai monde, ce monde extérieur qui existait en dehors de ma folle maison familiale d’immigrants. Les comics m’ont ouvert les yeux sur la culture populaire. On n’avait pas la télévision à l’époque. C’est plus facile d’ailleurs de comprendre les comics que de comprendre la télévision parce qu’elle ne fait que de bouger !  Les comics, eux, ne bougent pas, c’est à toi de bouger, de faire avancer le temps. C’est une bonne manière de se construire, lire des comics.

 (une page d'Art, datant de 2004, publiée dans McSweeney's San Francisco Panorama newspaper)


Les premiers souvenirs que j’ai ont trait aux comics. J’ai appris à lire à partir d’un vieux Batman. Lorsque je regardais les images, j’étais effrayé, je voulais savoir si c’était un gentil ou un méchant (une question que je continuerai de me poser avec les Batman de Frank Miller). Et puis j’ai compris qu’en lisant les quelques mots dans la bulle d’à côté, je pouvais me faire ma propre idée. Ça été une motivation pour apprendre à lire. La première fois que je me suis éveillé au sexe, c’était en regardant Betty et Veronica dans les comics d’Archie. J’ai aussi appris à connaître le monde grâce à Donald Duck, ses histoires dans les Andes ou le Pôle Nord. J’ai sans doute appris l’économie avec l’Oncle Picsou. Et tout ce que j’ai appris ado, je l’ai appris de Mad.

Pour moi LA figure centrale est Harvey Kurtzman, celui qui a inventé Mad Comics. 

Il a ruiné ma vie.

(ci-dessus et ci-dessous deux couve de Mad par Kurtzman)




The Spirit de Will Eisner ?
Ce qui m’a vraiment inspiré, ce sont les ambitions voraces d’Eisner. « Oh, une page de comic peut ressembler à une affiche de cinéma, peut être comme une collection de timbres ou un formulaire de déclaration d’impôts ». Tout ce qu’il utilisait, comme ces splash pages (des pleines pages), c’était excitant. Mais aussi la manière avec laquelle il construisait une histoire longue en seulement huit pages. Il a dit dans des interviews qu’il faisait des films sur papier. J’étais très content que ça ne soit pas vraiment le cas - c’était une mauvaise idée ! Quand je relis certains comics de ma jeunesse, ou bien je trouve que ça a horriblement vieilli, soit ils me nourrissent encore. Maintenant, je cherche des vieux comics que je n’ai pas pu lire à l'époque. Grâce à internet j’ai pu en télécharger qui datent des années 20, 30, 40. Des comics très primitifs… normal, leurs auteurs ne savaient pas ce qu’ils faisaient, ils devaient juste remplir des pages !

(l'ouverture d'une histoire du Spirit par Eisner ce génie)



Picasso

(extrait de Breakdowns)


C’est la personne qui m’a fait comprendre qu’il n’y a pas un mur imperméable entre art et comics. « Oh, tu sais, Picasso, il s’est branlé dans son studio exactement comme tu le fais ». Ce n’est pas un dieu. Je crois qu’il est plus facile de comprendre Guernica en l’appréhendant comme un grand cartoon plutôt que comme une grande œuvre incompréhensible. Y-a-t-il trop de respect pour l’art ? L’idée est de trouver ce qui semble vraiment nécessaire. Le monde de l’art me semble devenir comme celui de la mode, où l’on se demande : « quel genre de besoin peut-on se fabriquer ? » Plutôt que « quel besoin existe-t-il vraiment ? »


(une couve de Crumb pour Zap)


Robert Crumb
Pour toute une génération, Crumb a été … Tu te souviens du monolithe de 2001 Odyssée de l'espace ? A un certain moment, Crumb a été ce monolithe, il a doté les comics d’une nouvelle dimension. Pour devenir un vrai cartoonist, il fallait passer par ce que Crumb avait réalisé. On ne pouvait pas devenir un dessinateur sérieux sans s’intéresser au travail de Robert Crumb… même un artiste plus accompli comme Jean Giraud. Les comics underground ont tout explosé. Une vraie révolution. D’abord par le contenu, sexuel, politique, les drogues. Tous les tabous pouvaient être brisés, quelque chose de neuf pour les sixties. Hergé lui ne pensait pas à briser des tabous en parlant de drogues ou de la vie sexuelle de Tchang. Tout ça est arrivé avec Zap.


Breakdowns



(édité en 1978 et réédité en version augmentée en 2008)

C’était un livre autobiographique à une période où ce n’était pas commun dans les comics. Il rencontra une incroyable indifférence, tout le monde s’en foutait (même si, plus tard, on m’a dit qu’Alan Moore, Scott Mc Cloud ou Chris Ware y avaient trouvé des nouvelles manières de faire de la bande dessinée). Je me suis dit que si je continuais dans cette direction, je savais que j’allais devenir un artiste pour galerie branchée. Ce genre d’artistes n’a pas besoin d’avoir un gros public, il leur suffit d’avoir un ou deux riches amateurs qui soutiennent leur travail. Je ne voulais pas être seulement un artiste mais un artiste de comics. Ça m’a amené à commencer le projet pour lequel on me connaît maintenant, un projet qui m’a pris 13 années…



(crayonné de Maus, photographié à l'arrache)


Le "roman graphique"

Vraiment, j’ai davantage été inspiré par le Spirit de Will Eisner, que par Un Pacte avec Dieu qu’il a sorti en 1978 alors que je travaillais déjà sur Maus. Will Eisner utilisait le terme de « graphic novel » mais, moi, je ne l’ai jamais fait.

Le projet de Maus consistait à voir si l’on pouvait construire une histoire longue et complexe. Mais je n’ai jamais pensé que c’était le format le plus évident et basique pour les comics. La plupart des bons graphic novels que j’ai lus ont pris à leurs auteurs un minimum de 3 ans à 12 ans. Jimmy Corrigan a pris une décennie, Blackhole 12 ans. Ce n’est donc pas la manière la plus simple… d’ailleurs, moi, je n’ai pas envie de recommencer. Quand j’ai fait Maus, je n’avais pas de modèle. Maintenant, plutôt que de suivre un modèle que j’ai créé, je préfère chercher à me réinventer. Et la meilleure manière, c’est d’oublier ce que j’ai créé avant pour construire un autre vocabulaire. Je dois toujours apprendre un nouvel alphabet avant de commencer quelque chose. 



(un croquis pour Maus )

L’autobiographie
Le problème avec l’autobiographie c’est que, souvent, les gens n’ont pas de vie intéressante. Et, pourtant, ils font quand même de l’autobiographie ! J’ai lu trop de livres où c’était : « oh, je me mets un doigt dans le nez et j’en retire de la merde… » C’est quand même mieux de te lancer dans une autobiographie quand tu as une singulière expérience ou un point de vue très personnel à partager. Au début de Breakdowns, il y a un passage appelé "l'Art de la Fiction" qui traite spécifiquement des raisons pour lesquelles je ne fais pas de fictions. Pour moi, ça ressemble à jouer au tennis sans avoir de filet. Je préfère commencer avec quelque chose qui me paraît être valide, on appelle ça la réalité. Même si on sait que la réalité est une cible qui bouge tout le temps.

(crayonnés de Maus of course)

Quand j’ai rencontré pour la première fois Marjane Satrapi, elle s’est excusée. « Je suis vraiment désolée, les gens ne cessent de dire que Persépolis, c’est comme Maus. Ce qui, bien sûr, est vrai puisque ça a été inspiré par Maus. Mais je ne le vois pas au même niveau, s'il-vous-plaît, ne m’en voulez pas ». J'ai été charmé.


 (une illustration pour des éditions de Boris Vian en allemand)



Contre-culture
La première fois que je suis venu à San Francisco c’était en 1967. Mais je me m’y suis vraiment installé qu’en 1971. J'y suis resté jusque 1975 – après, je suis reparti dans ma jungle new-yorkaise. San Francisco était à l’époque la capitale de la contre-culture. Ce qui s’est passé à la fin des 60’s et au début des 70’s a affecté pour le meilleur ou pour le pire ce que nous vivons maintenant. D’une certaine manière, je vois ma génération comme une terrible déception. Parce que tout ce que nous avons construit c’est George Bush et Bill Clinton ! Heureusement, nous avons aussi ouvert la voie à des médias non monolithiques, comme Internet qui a remplacé les pages des fanzines underground et où quantité de micro-cultures ont leur place.


(couve du New Yorker post 11 septembre 2001)




Bien sûr, on n'a pas parlé de Raw, la revue fantastique qu'il a animée avec Françoise Mouly (devenue depuis DA incontournable au New Yorker), où Swarte, Burns et quantité de francs-tireurs ont été publiés. Ni de A l'ombre des deux tours mortes.

Sinon, il ne faut pas oublier, en plus de l'expo qui est consacrée à son travail, son "Musée privé" que l'on peut visiter à Angoulême jusqu'au 6 mai. Vraiment, c'est à pleurer d'émotion devant toutes ces originaux - du Little Nemo de Winsor Mc Cay, Jack Kirby, Caran d'Ache et quantité d'autres - ces pages de comics du dimanche (Gasoline Alley, ça y est, une larme coule sur le clavier)... Vraiment, ça vaut le déplacement - à noter qu'une partie des planches provient du fonds du musée donc doit être visible en temps normal.



Ci-dessous une interview du commissaire de l'expo, Thierry Groensteen, par France 3 Poitou Charente, et la bande annonce du livre numérique disponible (please please, sortez un vrai livre qui sente bon l'encre, du papier l'on puisse toucher avec les doigts... non, z'êtes sûrs ?)







jeudi 1 mars 2012

Killoffer couleur charbon


L'expo Killoffer au musée de l'abbaye Sainte-Croix des Sables d'Olonne vient juste de fermer ses portes. Que celles et ceux qui n'ont pas pu s'y rendre sèchent leurs larmes, voici une dizaine de photos prises le 24 décembre 2011.

Comme vous le voyez, elle se passait dans les combles...












Heureusement, le livre Charbons est disponible à l'Association : 


Et vous pouvez l'acheter - notamment, pour les Parisiens - chez Millepages à Vincennes ou chez Philippe le Libraire, 32 rue des Vinaigriers dans le 10e. Philippe qui a reçu Killoffer il y a peu avait préparé pour l'occase cette jolie vitrine.


lundi 3 octobre 2011

Rock Strips par Udner

L'ami Udner a réalisé ce film beau et drôle autour de "Rock Strips Come Back", je ne pouvais que le partager avec vous.
ROCK STRIPS COME BACK from Udner on Vimeo.

mardi 7 juin 2011

Méli Mélo Dylan : solutions, scores et mea culpa


Il est temps (enfin) de révéler les secrets de ce Méli Mélo spécial Dylan (scores en bas)


1 Les White Stripes, Elephant. Jack a énormément de respect pour Dylan, a repris "New Pony" avec The Dead Weather et chanté sur scène "Meet Me In The Morning", etc.

2 John Lee Hooker. Allusion au concert d'avril 1961 où Dylan joue en première partie du bluesman (ils boivent ensuite quelques verres de vin blanc, assez pour que le jeune folkeux d'alors clame être ami avec le Hook).

3 Richie Havens à la 1ère édition de Woodstock. Je plaide coupable pour le coup pervers puisque c'est son accompagnateur que l'on voit sur le Méli Mélo. Car, oui, comme certains l'ont affirmé, Richie, grand interprète de Dylan, était en sandales ce jour-là.

4 Un détail d'Axis Bold As Love, 2e album d'Hendrix. On le sait, l'écoute d'Highway 61 Revisited a donné à Jimi le courage de chanter. En guise de renvoi d'ascenseur, il reprendra quelques chansons de Dylan de manière définitive (comme on dit).

5 La bagnole tout à droite sur la pochette de Roman-Photo, premier album de Bashung longtemps maintenu dans les oubliettes par son auteur. La seule chanson à sauver : "C'est la faute à Dylan" (d'où l'indice "cowboy à Paname").

6 Diamonds and rust, l'album de Joan Baez où elle règle quelques comptes...

7 L'autobiographie de Woody Guthrie avec un dessin de lui-même.
8 Chelsea Girl de Nico (avec "'I'll Keep It With Mine"). Je plaide également coupable, un vrai bug, c'était introuvable. Je positive en me disant que c'est rassurant : aucun joueur n'a été fou pour identifier ce détail noirâtre et énigmatique.

9 Sonic Youth avec Murray Street. Est présent sur la BO d'I'm Not There avec une interprétation mémorable de "I'm Not There", justement.

10 Johnny Cash avec Hymns. Je ne reviendrai pas sur l'amitié qui le lia avec Dylan dont il fut un des premiers soutiens de poids.

11 Untitled des Byrds dont le premier succès, bien plus tôt, fut "Mr Tambourine Man".
12 Le Live At El-Sine de Buckley fils où les reprises de Dylan sont nombreuses.

13 Peter Paul & Mary, ceux grâce à qui Dylan obtint son premier numéro 1.
14 Communiqué de Dires Straits. Pas facile de reconnaître sans le cadre bleu, hein ? Knopfler a joué sur Slow Train Coming et produit Infidels.

15 Use Your Illusion des Guns N'Machin, auteur d'une reprise horrible de "Knockin' On Heaven's Door".
16 Trampoline de Joe Henry. Quand il s'agit de reconnaître Axl Rose et ses potes, y a du monde mais pour Joe, plus personne. Alors que merde, qui c'est qui a enregistré ses albums avec les Jayhawks, Page Hamilton (d'Helmet, justement sur Trampoline ), Mick Taylor, Ornette Coleman, Marc Ribot, Brad Meldhau ? Qui a produit Solomon Burke, l'album d'Allen Toussaint avec Costello, celui d'Hughes Laurie ? Qui a composé avec Loudon WainwrightIII la chanson de Knocked Up, le film d'Apatow ? Ah, je suis vinaigre tout d'un coup. Et bien sûr, il a coproduit plusieurs chansons de la BO de I'm Not There (celles avec Richie Havens, John Doe, Ramblin' Jack Elliott, Marcus Carl Franklin, Bob Forrest).

Du coup, petite vidéo, live au Paradiso, la chanson de Knocked Up.



17 Johnny Rivers. Si l'on se fie à ses Chroniques, Dylan adore sa reprise de "Positively Fourth Street".
18 Carolyn Hester, celle grâce à qui Dylan est entré pour la première fois en studio pour jouer de l'harmonica

19 Cat Power, méga-fan, etc.

20 Nina Simone

LES SCORES

1er KillMeSarah avec 14 pts
2e David Perrault 10pts
3e Hervé Bourhis 6 pts
4e Stéphane Deschamps 5 pts
5e ex-aequo Vincent Arquillière et Jean-Marc Grosdemouge 3 pts
7e ex-aequo Rom & Glorb avec 2 pts.
Merci à vous pour vous être prêté à ce jeu pervers...

Je contacte le grand gagnant pour son prix et renvoie vers sa petite rétrospective perso qui propose plusieurs excellentes versions live (ici et ).

Vous pouvez aussi écouter le portrait de Dylan réalisé par Michel Labrecque avec la participation du chanteur Vincent Vallières et myself. Pour la sortie de Bob Dylan au-delà du mythe (City Editions), j'ai aussi été interviewé par Ginsong et écrit quelques stories pour cet excellent site à vite.