
« Je ne suis pas Madonna mais j’essaie »
Une compilation en juin, un nouvel album, Bluefinger, en septembre : le programme de Frank Black est chargé cette année. Malin et bien déterminé à faire parler de lui en dehors de la reformation des Pixies, il a décidé de reprendre le nom d’artiste qui l’a fait connaître : celui de Black Francis. Rencontre avec un boulimique de musique qui n’aime pas trop réfléchir et change régulièrement de musiciens (« je ne choisis pas les meilleurs mais ceux avec qui je vais pouvoir m’entendre et réussir notre mission commune : faire un bon disque »).
Tu n’arrêtes jamais de donner des concerts, de sortir des disques. Tu es infatigable ?
Pourquoi j’arrêterais ? Je ne sais rien faire d’autre que de la musique. Je ne vais pas aller en mer avec mon yacht. Je suis un troubadour. Et puis, combien de disques ont sorti Lou Reed, Neil Young ou Elvis Costello ? Si c’est bien pour eux, alors c’est bon pour moi, non ? Quand tu as beaucoup d’énergie, il faut t’en servir.
Tu as quatre enfants, c’est facile de rester actif tout en ayant une vie de famille ?
Pas vraiment mais, en même temps, j’utilise mieux le peu de temps dont je dispose. Il m’arrive de courir au studio et je n’ai rien à enregistrer. Je demande à l’ingénieur du son : « prépare moi le micro, j’aurai une chanson dans une minute ! ». Avoir une famille, ça te force à être bon, à travailler très vite. J’aime avoir ce genre de contraintes. J’ai un autre projet avec ma femme, on s’y met quand notre fille au pair s’occupe de nos enfants. On court au studio et on tape rapidement sur nos instruments. On fait de la musique sans y penser – enfin, surtout moi. Ça sonne très pop et aussi très brut parce qu’on joue tout nous-mêmes.
Ton nouvel album, Bluefinger, a été enregistré en cinq jours…
Je sais comment ont été conçus certains disques des sixties que j’adore. Les jazzmen, par exemple, enregistraient très rapidement. Frank Sinatra en un jour : « allez, les gars, on y va. Il est cinq heures, j’ai une fête ce soir ». Quand tu travailles rapidement, parfois ça marche, parfois non.
Ça t’est déjà arrivé de mettre à la poubelle des chansons ?
Non, j’en fais un disque, ha ha ! Malheureusement, je n’ai aucun recul sur mon travail. Mais je ne crois pas non plus avoir des regrets.
Tu reviens avec quelque chose de plus rock après être allé à Nashville pour tes précédents disques, plus country, folk ou soul….
En allant à Nashville, je voulais simplement marcher sur les pas du Dylan de Blonde On Blonde. Personnellement, je n’avais pas besoin de revenir au rock. Mais mon public si, il en avait marre de Nashville.
Bluefinger est consacré au musicien hollandais toxicomane (un temps fiancé à Nina Hagen) Herman Brood. Pourquoi ?
Je regardais sur youtube de ses concerts tout à réfléchissant à de nouvelles chansons – mon nouveau manager me demandait un inédit pour mon best of. Rien n’a été planifié, il faut accepter ce genre de choses. Avec les Pixies, on lutte pour enregistrer un nouvel album, on dépense beaucoup d’efforts à discuter entre avocats interposés. Comme dit ma femme : au lieu d’aller vers l’énergie négative, va vers la positive !
Tu savais en reprenant le nom de Black Francis que tu allais faire parler de toi…
Bien sûr. Comme tout le monde, je sais comment manipuler les médias. Je ne suis pas Madonna mais j’essaie. Je ne pense pas que tout le monde accepte cette manipulation mais pour beaucoup ça va être : « Black is back ». Il faut savoir se venger des journalistes : ils trahissent mes mots, mentent. Alors, je joue un petit jeu !
C’est vraiment ton père qui a trouvé, au début des Pixies, le pseudonyme de Black Francis?
Oui, je cherchais un nom de scène et c’est ce qu’il m’a proposé. J’ai dit : « ok, ça sonne bien ». Et je ne me suis pas livré à une analyse. Est-ce que je t’ai dit que j’étais un serpent ?
Heu non. Comment ça, un serpent ?
Je suis né en 1965, l’année du serpent. Le serpent ne regarde pas la route en se disant : « voici ma vision artistique ». Il n’a aucune perspective de son environnement, il sent juste ce qu’il y a sous son ventre et réagit à ce qui se passe. Depuis que j’ai compris être un serpent, ça me permet de me défiler pendant les interviews. Si on me demande à quoi je pensais en reformant les Pixies, je réponds : « je ne sais pas, je suis un serpent ».
Tu n’a donc aucune vision à long terme ?
Non, je n’aime pas regarder vers l’avant. Les managers et promoteurs essayent toujours de me projeter dans l’avenir. Moi, je veux juste penser à aujourd’hui, demain, et peut-être la semaine prochaine. Pour moi, plus loin ça devient abstrait.
Voilà, plus haut un extrait de son passage à Toulouse en juin avec, justement, le morceau le plus punchy de Bluefinger.