Pour en savoir plus, allez sur le blog de l'exégète Raymond pour de passionnantes séquences de lecture ou chez Li-An

*Le fil rouge de la semaine, dont je rendrai compte bien à un moment.
"Où allait-il ? Peu importe. Il ne faisait que passer dans ce récit. On ne le reverra plus" (Jules Verne)
Reprendre un classique comme Le Petit Prince, est-ce comme pour un musicien reprendre un thème connu ?
Non, parce que tu changes de medium. Tout le but c’est d’expliquer qu’un livre illustré et une bande dessinée sont différents. A force de le répéter depuis des années, faut bien le prouver. Je prends un livre illustré, je le transforme en bande dessinée. Je ne change pas le texte ou très peu mais je change la mise en scène. Il y a la même transformation que si on l’amenait au théâtre. Ce n’est pas comme réinterpréter ce qu’un artiste du même terrain a déjà interprété. Je ne veux pas me substituer à Saint-Exupéry. Si tu entends une chanson de Billie Holiday interprétée par quelqu’un d’autre, tu vas comparer. Là, ce n’est pas possible, je l’ai emmené ailleurs. Je suis ravi de l’avoir fait, c’est un moment vraiment intense. Mais je l’ai fait parce qu'on me l’a demandé, je n’aurais jamais osé tout seul, je n’aurai pas eu l’orgueil. Après quand on te demande, c’est dur de dire non. Faut le faire et bien.
Comment as-tu procédé, notamment vis-à-vis des dessins de Saint-Ex ?
Toute mon idée était de ne jamais entrer en concurrence avec eux, revenir au texte. A tort ou à raison je trouvais que les aquarelles faisaient obstacle au texte. A cause d’elles, les gens pensent que c’est un texte très gentil et enfantin. Alors que c’est très mélancolique. Je fais de l’aquarelle depuis l’enfance grâce à Saint-Ex et Reiser. Justement, là, il ne fallait pas que j’en fasse mais que je montre que je n’étais pas dans la redite. J’ai voulu faire un livre qui soit plus japonais, en fait une synthèse entre le manga, les comics américain et la bd européenne. Il y a les six cases que tu trouves chez Jack Kirby, le côté trippant du manga où tu trippes sur un moment et tu vas dans l’émotion, puis les couleurs à la Tintin. Comme c’est un texte minimaliste, ça me plaisait d’avoir des couleurs faussement simples. Ce qui me plait dans le travail de Brigitte Findakly c’est que la matière, la couleur est aussi simple que dans un Tintin mais les harmonies qu’elle trouve sont hallucinantes, on est toujours dans la brillance, l’étrangeté. Car c’est un livre qu’on a fait à deux. Mais ce n’est pas un gain de temps de faire les couleurs à l’ordinateur, plutôt un choix esthétique, je dirais de narration.
Tu te sens attendu au tournant avec ce Petit Prince ?
Une fois que c’est fini, je reçois plein de lettres d’insultes, certains auteurs me disent : « de quel droit c’est un sacrilège » Les gens de la BD me disent que je suis une pute. Un auteur dont je ne peux pas donner le nom a récemment dit en interview que mon travail relève de l’art dégénéré. C’est la première fois que je passe un an sur un livre, la première fois que je travaille uniquement sur un livre, c’est un livre qui mérite d’être défendu. Je n’ai pas besoin que l’on sache que je suis sincère, c’est mon affaire. Je voudrais juste ne pas tomber dans l’aigreur à la Belmondo ou Delon, du genre « j’ai le public pour moi ». Non, je ne suis pas poujadiste. Je me considère comme un auteur exigeant et intègre, ça m’est arrivé de faire la pute mais c’était au début de ma carrière, j’avais besoin de bouffer, il fallait que je place des scénarios. Par contre, je n’ai pas peur de passer pour un imbécile, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de raconter une histoire faussement intelligente ou torturée. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de mettre de la méchanceté ou de la dureté dans un récit pour faire acte créateur. Prendre un objet simple que tout le monde semble connaître et en offrir une lecture qui n’en soit ni une trahison ni une œuvre choquante est peut-être une preuve de maturité. Mais ça serait mentir de dire que ces critiques ne sont pas blessantes. Tant que tu travailles, tu n’y penses pas. Après, on verra quelle est la part de vraie honnêteté et (je sais, ça ne se dit pas) de jalousie. Mais il y a un vrai agacement du milieu. Je suis en train de vivre maintenant ce que Bilal vivait quand je commençais ma carrière. C’est toujours quelqu’un que je considère comme intègre et honnête. Et puis à un moment certains ne l’ont plus aimé parce que ça marchait pour lui. Si c’est la seule raison pour laquelle j’agace les gens ce n’est pas très grave.
L’adaptation est très fidèle, sans clin d’œil à ton travail personnel ou autre chose…
Non, Il n’y a pas de clin d’œil, ce n’est pas un livre pour faire le malin. Il n’y a pas de préface, de postface, je n’ai même pas signé à la fin. Normalement, je date tous mes livres en les signant. Là, je n’’ai pas mis mon nom dans la dernière case. J’ai eu une espèce extase sur le petit prince, il y a un côté religieux. Mais la religion sans le petit Jésus. Cela explique comment un mec foisonnant comme moi soit sur un truc et s’y conforme de manière monomaniaque et douloureuse ! Parce qu’il y a eu une vrai traversée du désert, je me suis fait un vrai trip. J’ai lu le Petit Prince quand j’étais gamin en m’identifiant au Petit Prince. Je l’ai relu quand on m’a proposé de le dessiner et je me suis identifié à l’aviateur. Là, il y a eu un glissement assez vertigineux pour que j’aie envie d’y aller.
Tes prochains projets de bd ?Une histoire de Chagall qui s’appelle Chagall en Russie, un conte yiddish, sauf que c’est Chagall mon héros, pris en 17 entre des communistes et des rabbins. L’autre histoire s’appelle L’Ancien Temps, qui va être un peu mon Bilbo le hobbit. Vu que l’on me met toujours dans des trips religieux, j’ai voulu faire une histoire anti-monothéiste. , je me suis dit « ok, allons-y ». Pas du heroic fantasy mais du Moyen Age, un peu comme Les Dames du Lac de Marion Zimmer Bradley. Les personnages viennent tout droit des tableaux de Vinci ou de Brueghel. Le premier volume va sortir vers le mois de janvier et Chagall au printemps.