dimanche 28 janvier 2007

Hergé (2)


Viennent juste de ressortir Les Aventures d’Hergé, sorties il y a 8 ans, épuisées et donc rééditées astucieusement par les Editions Reporter pour ce fameux 100e anniversaire de la mort du créateur de Tintin. C’est le dessinateur Stanislas, fondateur de l’Association mais tenant de la « ligne claire » qui avait été choisi pour donner chair, couleurs et mouvement à cette biographie spéciale. Au moment de la conception, il déclarait : « ce qui m'intéresse, c'est de raconter des histoires en images, de façon lisible, intelligente et pas ennuyeuse. De porter un regard moderne sur l'aventure dessinée ». Il a admirablement réussi à transformer Hergé en héros. Les scénaristes ne sont pas n’importe qui : José-Louis Bocquet et Jean-Luc Fromental ont connu de l’intérieur les années Metal Hurlant, le second dirige d’ailleurs l’excellente collection Denoël Graphic. Ces deux-là se sont servis des faits pour bâtir une sorte de mille-feuilles léger et virevoltant. Traduction : ils effectuent des ellipses pour ne pas suivre à la trace Hergé comme de laborieux biographes. Ce qui n’occulte pas le fait qu’ils ont réalisé un gros travail de documentation. Saviez-vous que, pour lancer la sortie en album de Tintin chez les Soviets, avait été organisée l’arrivée à Bruxelles d’un faux Tintin ? De cette astuce de marketing, on en trouve d’ailleurs une trace dans le catalogue de l’expo Beaubourg puisqu’une photo, un peu irréelle quelque soixante-dix ans après, a immortalisé l’ « événement ». A noter pour les maniaques qui possèderaient la première édition : deux chapitres (courts, comme les autres) ont été ajoutés, les pages de garde et la couverture changée. (reproduction autorisée par les éditions Reporter) On aura une pensée pour une autre entreprise, La Vie de Jijé telle que dessinée par Chaland, avec un encrage de Serge Clerc et Denis Sire, réalisée en 1981 pour Metal Hurlant (repiquée par Bang en 2004). Comment en quelques pages étourdissantes faire revivre un autre grand homme. A retrouver, notamment pour la querelle entre Hergé et Jijé : le second venait de créer son premier héros, Jojo, et se voyait accuser par le premier de plagiat. La légende dit que Jijé aurait répliqué par trois dessins : Bécassine avec sa coiffe, Bécassine sans sa coiffe (et donc la boule à zéro), Bécassine avec une houppe… donc Tintin (ça se comprend mieux en regardant). A part ça pas de Playback jusque jeudi pour cause de déplacement outre-Atlantique. Sauf accident, à jeudi !

jeudi 25 janvier 2007

Hergé (1)


J’ai « emprunté » cette image au site du centre Beaubourg qui ne m’en voudra pas, hein. Je ne me suis pas encore rendu à l’expo Hergé (qui est gratuite, ce qui contraste un peu avec le traitement plutôt mercantile de l’héritage de l’auteur). En revanche, je me suis laissé séduire par le « catalogue » de l’expo, joli pavé de mille pages. Faut que je précise : je ne suis pas un tintinologue hardcore, c’est-à-dire que je ne répondrai pas sans antisèche aux questions : « quel personnage secondaire apparaît à la page 13 des Cigares du pharaon ? », « quel est le second prénom de Rastapopoulos ? » ou « quel est le premier Tintin à avoir été publié directement en couleurs ? ». Mais bon, à partir du moment où l’on évacue les relents racistes et anti-bolchéviques de son œuvre (il faut être de mauvaise foi pour ne pas voir qu’Hergé a servi d’éponge à son environnement pas très fréquentable des années 30) ça reste du génie pur. Avec beaucoup d’instinct et de travail, Hergé a contribué à transformer la bande dessinée en un medium incroyable. Il n’y pas longtemps, dans l’hebdomadaire télé les Inrockuptibles, un lecteur plaidait pour l’école de Marcinelle, celle de Franquin, et minorait l’influence de celle de Bruxelles (Hergé donc). De manière lapidaire, on lui répondait que sans Hergé la bande dessiné n’existerait pas. Ce qui est un peu facile et bête (on ne peut pas tout lui attribuer). Il n’empêche qu’Hergé a précédé Franquin puisqu’il (ATTENTION, EVIDENCE) a débuté plus d’une douzaine d’années avant lui. Dans le catalogue de l’expo, on suit la naissance d’un trait (beaucoup d’extraits en gros plan) du scout dessinateur Georges Rémi et c’est passionnant. Ceux qui ont les moyens de se payer les gros volumes des archives Hergé connaissent déjà tous les documents ici rassemblés (dessins publicitaires, illustrations réalistes, etc.) mais moi j’ai été ébloui. Notons que le livre (donc l’expo) est traversé de citations d’Hergé lui-même qui nous éclairent sur le regard, humble forcément, qu’il portait sur son métier.

mardi 23 janvier 2007

Bloc Party en Black


Je reviens juste de la Maison de la Radio où Bloc Party, dans le cadre des Black Sessions de Bernard Lenoir, vient de donner son premier concert depuis l’arrêt en pleine course de leur tournée américaine, il y a quelques mois, le batteur, l’énergique Matt Tong s’étant décollé la plèvre (même si c’est rock’n’roll, ça causait problème). L’autre jour, il y avait débat à la maison : tandis qu’Udner était partagé, RV Love l’affirmait : trop de jeunes groupes anglais se confondaient, entre clones des Strokes et petit-fils éloignés de la new wave. Il a raison, il suffit de regarder une demi-heure de clips sur MTV2, vers deux ou trois heures du matin, pour vaciller sous la déferlante de groupes au nom tarabiscotés essayant de faire croire qu’ils sont en 1978 ou ont découvert les Smiths en premier. Ils s’agitent mais restent encore trop au niveau de la copie, repompent les plans mélancoliques des aînés (alors que leur plus grand moment de souffrance reste cette fois où ils ont été privés de dessert parce qu’ils avaient mis Oasis trop fort dans leur chambre sans entendre leur maman les appeler pour le dîner). Mais RV Love a tort parce qu’il citait en premier lieu Bloc Party, un des groupes anglais les plus attachants des dernières années. Selon lui, à part s’inspirer de The Cure, la bande de Kele Okereke n’avait rien de transcendant. On lui pardonnera, c’est un ami et il a d’autres qualités (et un goût plus affûté en ce qui concerne la cold wave et d’autres choses). Bloc Party a de la valeur (réellle) ; même si leur premier album présentait quelques réminiscences (sans doute accidentelles, en plus) des années post-punk, il possédait une énergie et une conviction dans le lyrisme qui emportait la mise. A Week End In The City, le deuxième album (sortie le 7 février) montre que Kele Okereke, chanteur-compositeur a de l’ambition, que ce soit au niveau de ce qui l’inspire en tant que parolier (pourquoi nos vies modernes sont régies par la culture du plaisir et de l’évasion, par les drogues, la danse, l’alcool ou la violence) ou du son. En raison du jeu sur les textures (guitares maquillées, bidouillées, rythmes tirés du hip hop ou de l’electro) on pense finalement plus à TV On The Radio qu’à Arctic Monkeys (un bon groupe réaliste par ailleurs mais moins singulier). Ce qui n’empêche que Bloc Party affiche une facilité mélodique, une cohésion de groupe bluffante (le guitariste ne sort pas des plans éculés brit-pop, loin de là) et une énergie salvatrice. Il faut écouter ce disque, reflet distordu et enthousiasmant de l’Angleterre d’aujourd’hui. Et voir le clip de “The Prayer”, premier single et appel à la transe à la fois morne et euphorique. Bref, cette Black Session a été assez énorme, malgré un son un peu crapoteux et les chœurs maladroits du bassiste. Plein de gens émettaient des doutes sur le futur de Bloc Party. Bientôt, à ceux-là, on rira au nez.Sur le site français du groupe, le clip de “The Prayer” http://www.v2.fr/artistes/blocparty

dimanche 21 janvier 2007

Blondie on Blondie


Rendu euphorique par la victoire in extremis d’Arsenal sur Manchester United (une tête parfaite d’Henry à la 94e), je vais revenir vite fait sur Dans les rapides de Maylis de Kerangal. Déjà, cette écrivaine a un sacré nom, non ? Rappel : la maison de disques Naïve a inauguré il y a plus d’un an une collection de livres à vocation rock. Ah, la littérature rock, quel beau piège ! Quand les écrivains se mettent à divaguer sur leurs passions électriques, ça peut donner un résultat poussif, bateau et finalement commun (pour information, le chanteur du groupe Pleymo va sortir son premier « roman » et la lecture des premières pages s’avère involontairement jouissive dans le genre : « je me la pète à LA mais je suis né à Tourcoing » - je caricature). Mais la ligne éditoriale de ces Naïve Sessions présente peu d’impureté. Déjà car ceux qui contribuent à cette collection savent d’abord écrire avant d’être des rock-critic frustrés ou des fans de musique. Il y a déjà eu Un démocrate : Mick Jagger 1960-1969 de François Bégaudeau, Nous autres par Olivier Rohé (un délire intrigant autour de Bowie et ses personnages) ou Les Doigts écorchés de Sylvie Robic, inspiré et électrisé par le groupe de Sheffield, Hogboy. Trois bonnes sorties parmi d’autres (j’ai trouvé J’ai appris à ne pas rire du démon d’Arno Bertina un peu trop cérébral et artificiel, surtout parce que le personnage principal est l’immense Johnny Cash). Maylis de Kerangal, elle, fonce, ne se la joue pas, elle parle de ce qu’elle connaît, Le Havre, d’où elle vient, ville portuaire où la jeunesse de la fin des seventies a sauvé sa peau en plongeant dans le rock anglo-saxon (et en essayant de l’imiter). Ses trois personnages, trois amies, trois ados vivent une vraie électrocution grâce à l’album Parallel Lines de Blondie. Avec comme modèle Debbie Harry, elles entament ainsi leur émancipation. Récit court, mené sur un tempo assez élevé, Dans les rapides raconte vite et bien, sans digression ni gras. A conseiller, avec en bande-son le coffret des singles de Blondie.

jeudi 18 janvier 2007

C'est nul la BD

Peut-on jouer au frisbee avec tout ?
En tant que lecteur de bande dessinée, je me sens souvent insulté par la manière dont ce medium épatant est considéré. A un film au scénario gamin ou trop fantaisiste, on reproche ainsi son « côté BD », telle personnalité raconte dans son enfance avoir lu des BD avant d’être passée à d’autres lectures bien plus sérieuses… les exemples de comparaisons et d’appréciations inopportunes ne manquent pas. Comme si dans la tête de la plupart de nos contemporains, la bande dessinée en était resté au stade du strip d’Hagar Dünor (ce qui, en soi, ne serait pas honteux, mais dans leurs cerveaux étroits, si). Sans sortir des conneries de justifications artistiques, il serait bien que les trois-quarts de nos contemporains se rendent compte de la richesse des thèmes et approches présentes dans la bande dessinée actuelle. Déjà, ça les rendrait moins cons.
Un exemple parmi des milliers d’autres : le festival d’Angoulême commence la semaine prochaine mais on connaît déjà les lauréats du prix du public 2007. Olivier Ka (scénario) et Alfred (dessin) pour Pourquoi j’ai tué Pierre (éditions Delcourt). Un livre autobiographique qu’on ouvre le sourire aux lèvres avant que surgisse un nuage d’appréhension, corroboré par un final en forme d’entonnoir – je me comprends. A sa manière, subtile mais pas niaise, Pourquoi j’ai tué Pierre parle de pédophilie et mieux qu’un témoignage brut, cet album expose les dégâts causés chez la victime (Olivier Ka, donc, auteur jeunesse) de manière lumineuse. Honnêtement, je ne suis pas sûr d’avoir envie de le relire un jour mais cet album constitue néanmoins une expérience marquante. Et la couverture est habile. Enfin, je me permets de mentionner la série du dessinateur Alfred, sur scénario de Peyraud, Le désespoir du singe, inaugurée par un premier volume intrigant (faut confirmer vite les gars).

mercredi 17 janvier 2007

Brakes Brakes Brakes

En se projetant (un peu, un rien) tout en étant sûr de mon coup, je le proclame : le disque de Brakes, The Beatific Visions, sera un de mes cinq disques de 2007. Pourquoi, why, warum cet empressement ? On ne peut pas s’en lasser, il présente aucune trace de gras, de superflu, conjugue de l’énergie et des chansons qu’on peut fredonner dès la deuxième écoute, une sorte d’urgence qui va de pair avec une bonne humeur tangible – ces mecs aiment jouer ensemble, ce qui fait la différence. A la base, des potes de Brighton, accessoirement membres de groupes surtout remarqués dans leur pays – The Electric Soft Parade, British Sea Power, du milieu de tableau de première League. Un soir, bourrés, ils jouent ensemble, kiffent leurs riffs (©), réitèrent, enregistrent un premier disque en cinq jours qui slalome entre garage, punk et country (reprise de “Jackson” de Johnny Cash). Deux ans plus tard, ils n’ont pas perdu leur plaisir et ont simplement chopé plus d’assise. The Beatific Visions constitue la manière la plus maligne d’utiliser 28 minutes de son temps. Car, oui, leur deuxième, enregistré live (à Nashville) sans fioritures – on a l’impression qu’ils sont dans la pièce - dure à peine le temps d’un 33 tours des sixties. Le chanteur a, à quelques moments, des accents de Joe Strummer, emmène gaillardement ces chansons de garage à boire, ces morceaux dansants jusqu’à l’idiotie (“Spring Chicken”), ces ballades qui n’ont pas le temps d’être larmoyantes. 28 minutes compactées à l’ancienne, sincèrement irrésistibles si on aime le rock brut (mais pas de brute). Quatre morceaux (sur 11) sont écoutables sur leur page myspace : (http://myspace.com/brakesband.

mardi 16 janvier 2007

Blaing Blaing

Avec certains dessinateurs, il est facile de perdre son sens critique, de tout accepter, d’avaler comme une autruche, de se prosterner comme une merde parce qu’on aime tout, l’intelligence du dessin, les ressorts de l’histoire, l’humour, les couleurs. Ça nous arrive à tous, non ? Par exemple, j’ai du mal avec Sfar… je veux dire que j’ai du mal à séparer le bon du moins. Je vois bien quand une case paraît avoir été bâclée mais je passe l'éponge, j'adhère, j'applaudis. Donc Blain. Pareil : à chacun de ses albums, je m’esbaudis, c’en est indécent (mais personne n’est au courant). Et mon admiration ne se tarit pas. Gus vient d’atterrir dans les librairies, un album qui n’a (presque) rien à voir avec Isaac le Pirate. Un western, où l’où ne voit pas d’indiens, où les héros (Gus mais aussi Clem et Gratt) vivent de braquages qu’on ne voit pas (parce que ça ne l’intéresse pas, Blain). Au lieu de ça, des histoires sentimentales, compliquées, drôles, des amours platoniques et d’autres moins, des bordels, des amants, des trompés. Et puis l’esprit de camaraderie présent dont font preuve les personnages d’Isaac. Cinq histoires (la première date d’octobre 2004) qui permettent à Blain d’explorer une autre partie de sa palette avec beaucoup de couleurs vives, un dessert bien jaune, des canyons grenats (à moins que je ne me trompe), etc. Ces récits en quadrichromie pètent de vie et respirent la fête, Blain donne l’impression bluffante de se balader, juste parce qu’il est TRES FORT (j’ai prévenu, je ne suis pas objectif car je ne peux pas). Le premier volume (76 pages) vient de sortir, Nathalie, joli titre, d’autres sont annoncés, (Peggy, Ernest, Rose). les amateurs de John Ford devraient remarquer quelques clin d’œil, moi je ne suis pas assez cinéphile. Mais j'ai déjà envie de relire.
La planche ici est copyright Dargaud, merci.

dimanche 14 janvier 2007

Cui cui


Introduction typique et superflue : « j'avais envie de revenir sur... » Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? Oh, le con de pigeon, il est en train de foutre le souk dans mes vinyles. Prends ça (BLAM), allez, casse-toi. Bon, je ferme la fenêtre, de toute façon, fait froid. Donc, en décembre sortait chez nous un recueil d'histoires d'Osamu Tezuka, finement nommé Demain les oiseaux (un titre dû à l'éditeur, non à lui mort depuis belle lurette, qui, malgré sa référence transparente à Simak va bien). Pour aller vite, Tezuka représente un monument au Japon, l’équivalent d’un autre génie, Hergé. Sauf que Tezuka a dessiné 150 000 pages, insatiable raconteur d’histoires influencé par Disney qui a créé des personnages (Astro Boy, Le Lion Léo) entrés dans l’inconscient collectif mondial, développé des séries au ton novateur, encore maintenant pour nous qui découvrons son œuvre gigantesque avec des décennies en retard. Dans le Japon de l’après-guerre, Tezuka parlait de drames familiaux (Ayako et son héroïne abusée et cloîtrée) ou de médecins justiciers (Blackjack ou Kirhito), donnait dans le surréalisme enivrant (Barbara). Ce sacré conteur avait la faculté, avec son trait marqué par la rondeur de Disney, d’amener le lecteur là où il le voulait. Maîtrise du mouvement, du cadre, une facilité innée à paraître simple.Même en transversale, il est impossible de résumer, trier et surtout transmettre le quart des émotions procurées par ses mangas. Seul constante : l'étude des rapports entre l'homme et la nature, entre lui et sa nature. Les histoires de Demain les Oiseaux, pourtant indépendantes les unes des autres, tissent le même fil inquiétant : et si des autres animaux que les humains profitaient de leur supériorité pour nous rappeler notre condition (de bestiole) ? Les premières « nouvelles » montrent l’ascension des oiseaux et la relation désemparée des humains. Puis le pouvoir change progressivement de main, l’intelligence et la solidarité des races volatiles prennent le pas sur la stupidité arrogante des homo sapiens, en régression rapide. Ça devient pire que le film d’Hitchock : l’homme est réduit à un animal de compagnie, un esclave. Une horreur à l’humour noir (les oiseaux reproduisent le système des castes, deviennent même cannibales). Morale : si un pigeon vous jette un jour un regard particulièrement vif et malin, vous saurez que le temps de la revanche a sonné. Bon, il ne faut pas s’affoler. Et l’homme reste son principal danger, c’est rassurant.
La planche au-dessus est donc extraite de Demain les oisaux (gros gros volume), édité par les Editions Delcourt qui ont une politique assez passionnante et fouineuse au niveau manga. Dans leur catalogue Tezuka, rien n'est à jetter et tout à lire. Copyright Delcourt et Tezuka productions donc pour la reproduction. Un autre editeur sort en même temps les premiers épisodes d'un série qui vaut franchement le coup : Demain la terre.

vendredi 12 janvier 2007

Dodoudoum doudoudoum doudoum

A l’heure de la consommation digitale de la musique, sortir un mini-album ça constitue un peu une aberration. Quoique. De toute façon, The Article 3 vaut surtout pour un morceau, à mettre dans l’ipod direct (ou tout autre baladeur, téléphone portable, grille-pain). Le nom de l’artiste vaut 172 points au scrabble, un score rare (refiler le tuyau à vos mamies) : Meshell Ndegeocello. Prononcez Michelle (pour son nom, débrouillez vous). Initialement (1993) signée sur le label de Madonna, parlant de (bi)sexualité ou de racisme en allant droit au but, elle représente l’anti-Monica ou l’anti-Amerie (vous savez, ces jolies chanteuses de R’n’B aussi vivantes que des marionnettes *). Bref, c’est une forte personnalité de la musique noire américaine. Mais, à force de sophistiquer compositions et arrangements, cette chanteuse soul qui parle autant qu’elle ne chante (limite rappe) s’est peu à peu éloignée du groove brut et de la sueur pour intellectualiser son discours et s’inspirer du jazz spirituel, les envolées à la Miles, etc. Grand bien lui fasse. Mais à part quand elle invitait Missy Eliott pour des remixes, j’ai eu l’impression ces dernières années d’être face à la casseuse d’ambiance. Le comble pour une fan de Prince.
Sur The Article 3, maxi de cinq titres, on retrouve cette tendance un peu chiante, ces grooves compliqués (donc inefficaces, absurdes). Elle part un peu dans tous les sens, la mère Meshell (j’ai honte, si, si), même en Afrique avec la chanteuse Oumou Sangara et Pat Metheny à la guitare. Et, puis, perdu en deuxième position, “The Sloganeer”, basse new wave jouée par Meshell, batteur qui essaye de semer ses baguettes. Comme si The Organ avait été infiltré par des accompagnateurs de Miles ou d’Herbie Hancock. Cinq minutes puissantes qui voit Meshell envahir le terrain d’Interpol. Bien joué. Plus loin, “The Article 3” s’avère un peu trop heurtée pour recommencer le hold-up. En avril l’album, maintenant “The Sloganeer” à écouter sur sa page myspace. Comme là (et c'est une version live, hé ouais, c'est dingue) : http://www.myspace.com/officialmeshellndegeocello.

* Je suis sûr que certains aimeraient jouer à Gepetto, hein, Udner.

jeudi 11 janvier 2007

Avril à Paris



Vous avez vu la bande de rigolos qui luttaient (à Nantes) contre le passage à la nouvelle année ? J’ai l’impression d’en faire un peu partie car je n’ai pas fini d’écarquiller les yeux en feuilletant certains livres sortis juste avant la fin de l’année. Comme Paris-Tokyo-New York-Bruxelles de François Avril. Encore un descendant de la « ligne claire ». Il a même été (plus ou moins) disciple d’Yves Chaland, dessinateur que je vénère jusqu’au déraisonnable (il y a d’ailleurs sur Ebay ces jours-ci un manuel d’occitan illustré par Chaland encore lycéen, une vraie folie). Avril a donc pratiqué la bande dessinée pure (Le Voleur de ballerines, avec Yann, qui aurait pu être une aventure de Freddy Lombard… sans Freddy Lombard) pour ensuite se consacrer au dessin (je veux dire sans parole). Paris-Tokyo-New York-Bruxelles (aux éditions Champaka qui ont sorti quantité de beaux livres, notamment de Chaland) expose, parfois sur des doubles pages, son regard à la fois poétique et schématique sur les quatre villes citées. On reconnaît presque au premier coup d’œil mais, en même temps, Avril mêle détails typiques et inventions architecturales (« à la manière de »). Au contraire d’un Tardi qui utilise le réel comme décor (voir Le Secret de l’étrangleur, bien foutu), Avril s’en inspire pour le reconstruire en architecte géant et virtuose. Il re-design l’avenue des Champs Elysées et les autres rues parisiennes, conservant les monuments mais épurant. Pareil pour les autres capitales qu’il parvient à faire revivre tout en les faisant entrer dans une autre dimension. De ces pages émane aussi une sacrée sérénité : les humains, toujours présents, actifs mais à leur échelle, laissent la place à leurs décors, vraies héros de ce livre. Dans sa préface (quand un dessinateur écrit l’avant-propos d’un livre qu’il aime, ça donne toujours un résultat intéressant), Joost Swarte, ce grand monsieur, dit tout ça mieux que moi : « Avril aime dessiner des sujets issus de son environnement immédiat : des villes, des paysages, des musées. Il les traite de manière presque abstraite et les amène à un état de repos. Quand Avril conçoit une scène de rue agitée traversée de lignes vives, il apporte de la tranquillité dans le chaos par des accents de couleurs ordonnés en motifs apaisants ». Je suis con, j’aurais dû recopier sans rien dire…
Pour celles et ceux qui connaissent déjà son trait, il y a aussi des surprises chromatiques, des sortes d’instantanés moins « droits ». Le livre coûte 60 euros parce que, de la reliure au papier, tout ici a été étudié, tout a été pensé en fonction des dessins. Ça aussi, c’est reposant.

mardi 9 janvier 2007

Oumpah-pah, non mais, dis donc !

Dimanche soir, j’étais triste parce que ma tante Claudine est morte de maladie, alors j’ai cherché une Bd qui me redonne le sourire et me fasse retrouver de l’innocence. Un livre en dehors de notre époque, loin de mon quotidien et du moment, bref du divertissement de qualité où tu n’as pas le temps de t’ennuyer car tu n’en as pas l’occasion. De l’inattaquable. J’ai pensé à Oumpah-pah, l’indien. Une série d’Uderzo et Goscinny, crée en 58 juste avant Astérix et vite arrêtée (58). Dans ma petite collection figure l’intégrale des aventures (il y en a cinq d’une trentaine de pages) parues dans le journal de Tintin. Cette édition date de 1979. Et je l’ai depuis 1981. Je le sais parce que je l’ai écrit à côté de ma signature. J’avais sept ans. Il y a aussi, c’est plus inquiétant, un triangle haché de deux lignes avec inscrit 49. Je me rappelle que j’avais numéroté mes livres à un moment. Ou alors je m’étais inventé ma secte. En tout cas, c’était le livre idéal pour cette mission lavage de cerveau chaleureux. Dans Oumpah-pah, il n’y a pas les jeux de mots et allusions contemporaines d’Astérix. Que des séquences de comique pur qui s’enchaînent. Les Indiens et leurs totems, Les Français avec leur expérience de la cour, Pirates, Allemands, personne n’est très malin mais tout le monde y joue. Deux gags par page au moins, de l’allant, le dessin tout en rondeur d’Uderzo, les personnages bien vivants sur la page… Forcément, je n’ai pas autant ri qu’à sept ans, j’ai quand même eu un début de fou rire à un passage où j’ai tilté, je me souvenais de l’espèce de jeu de mots. Et là, tout fier, je montre le livre à ma copine qui, après avoir lu cinq pages, me dit : « c’est mignon ». Je m’en fous, je lâche l’info. Voilà, trois aventures d’Oumpah-pah (la première là, la couverture n'a pas beaucoup de gueule) sont apparemment disponibles séparément. Mais pas l’intégrale de 1979.

samedi 6 janvier 2007

Funk


Pour se remetre de la mort de Jaaaaaaaaames Brown, je n'ai trouvé que ça, ce joli coffret appelé What It Is (vendu quand même 70 euros). Dessus quatre CDs rempli ras-la-gueule de pépites soul, funk ou "rare groove" (soit plus jazzy et atmosphériques). C'est les érudits américains de Rhino qui se sont occupés de la sélection. Une sélection qui évite les évidences - le moins qu'on puisse dire. A part un extrait magique du premier album de Curtis Mayfield (le titre est long et je suis fainéant) on a droit à des morceaux sans doute connus par les chineurs mais plutôt rares (j'imagine). Vous saviez que Sly Stone avait enregistré sous le nom de 6ix des singles terribles ? Que Little Richard, oui celui de "Tutti Frutti", avait groové comme un malade ? Que Lionel Richie a été un jour autre chose qu'un nuisible vendeur de guimauve ? Oui, au sein de The Commodores. On trouve au casting des groupes connus (The Meters, Earth Wind And Fire, etc), Bobby Byrd, le screamer partner de James Brown, Aretha, mais aussi des inconnus, des mecs et des filles qui ont voulu imiter leurs idoles et y sont réussis le temps de cinq minutes ou deux mois. Plus de quatre heures de bonheur perpétuel. J'ai passé presque un jour et demi à retrouver un des disques tombés sous le canapé après une soiré chaude et arrosée. Dans mon cerveau de maniaque, c'était une question de vie ou de mort.

mercredi 3 janvier 2007

Canetor


Un livre traîne au pied de mon lit depuis des semaines et je préfère en parler avant qu’il soit couvert de poussière et surtout indisponible. Car c’est le dernier album de Charlie Schlingo, dessinateur surtout apprécié d’un cercle de fous et mort en 2005. Créateur de Grodada pour les enfants, Schlingo a été le porte-parole d’un humour (pour adultes) scato et dadaïste, une espèce de philosophe de la crétinerie, un La Fontaine (beaucoup plus) décoincé. Pour complètement s’immerger dans son univers délicieusement absurde (voire totalement idiot) il faudra chercher chez les bouquinistes des exemplaires de Désiré Gogueneau et autres Josette de Rechange. Schlingo mériterait une pléiade, ça ressemblerait à un volume de 500 pages qu’on ne pourrait pas épuiser. En attendant ce miracle, il faut donc profiter de Canetor (éditions Requins Marteaux), scénarisé par ce maître de la farce et dessiné par l’incroyable Pirus, fils mutant de Calvo ou Disney spécialisé dans l’anthropomorphisme délirant (Rose Profond, il y a longtemps avec Dionnet). Lu de loin, Canetor présente d’innocents gags de deux pages à l'esthétique cartoon 50's. Alors que, comme souvent chez Schlingo, il s’agit de relation sadique entre personnages d’où il tire tout le jus de la méchanceté. Ici, Canetorette, passe son temps à offrir des fleurs à Canetor dont elle est amoureuse. Lui, bizarrement excédé par ses attentions, l’effraie en se déguisant en veau (chez Schlingo, on se déguise en veau, cheval…). La sœur de Canetor, la harpie Canetorine, elle, ne s’exprime qu’en proverbes, vrais ou inventés. On voit aussi un œuf évoquer ses problèmes sexuels, un chien marchand de chaussettes et je ne peux pas en raconter plus. On pourrait croire que Schlingo et Pirus font l’éloge de la connerie et aiment l’humour vulgaire. Alors qu’ils analysent, avec l’excuse de la déconne, notre face sombre. Bigre…
J'aurais aimé rencontrer Schlingo, voir si c'était un fou furieux ou un dandy de l'humour crado. Malheureusement, il ne pourra pas me décevoir...