Je me suis déjà excité sur Le Journal de Serge Clerc. Voici maintenant une interview en deux parties. La suite la semaine prochaine.
En réaction au livre sur Métal Hurlant ?
Hé non, normalement je devais sortir en même temps. Fromental me l’a commandé courant 2003. Ce devait être dans l’air du temps. Moi, mes premières notes sur le sujet datent de 94, j’ai pris mon élan et j’ai commencé… dix ans après !
Le concept du Journal
C’est une bio-fiction, je me suis servi d’un axe qui est mon vrai parcours : moi qui arrive à Paris, il y a un journal qui se crée dans lequel je veux bosser. Et moi qui traverse tout ça sans voir qu’à tout moment il peut se casser la gueule parce qu’il n’y avait pas de groupe derrière, Etre embauché à Métal je ne m’y attendais pas une seconde, pour moi c’était les dieux vivants qui y travaillaient. Je raconte ça sous cet angle, le nez en l’air et je sifflote. Et derrière c’est le Titanic qui peut faire naufrage. Un bon pitch, non ? Puisqu’il faut faire des pitchs maintenant.
J’ai bien aimé faire ça parce qu’il y a un petit côté écrivain.
Sa conception
Je ne bosse pas au fil de la page, ce sont des strates qui s’empilent, un mille-feuille. Tout est vachement épars, des notes vachement jetées, comme les écrivains qui prennent des notes, des bouts de machin à droite et gauche.
Touffu
Aérer ne m’aurait pas demandé plus de boulot – au contraire. C’était cent quatre-vingts pages le challenge – j’ai débordé. Dès le début, je le savais : « je veux quatre cent pages, je veux deux tomes ». From’ m’a dit : « no way, hors de question ». La distance, c’est toujours le problème. Les albums de 44 pages, ça nous a toujours fait chier. J’ai eu de grandes discussions avec Chaland, on se disait : « putain, 44 pages, on s’en sort pas ». On ne peut pas faire quelque chose de sérieux avec quelque chose d’aussi court.
La découverte de Métal
C’est un choc. En plus en 1975, c’était le désert culturel. A la télé, il n’y avait aucune émission de télé sur le rock. Moi, j’aimais bien la contre-culture, je lisais Charlie, Actuel ; Pilote. C’était ma littérature blanche à moi. Je faisais venir des comics directement de la librairie Futuropolis parce qu’autrement chez moi on ne trouvait rien. Il fallait aller à Lyon. Le numéro 1 de Métal, j’ai dû aller à Lyon à la librairie Expérience pour l’acheter ! C’était des quêtes du Graal. Et quand on trouvait, c’était fabuleux. Maintenant, on trouve tout : un clic et on a. Alors qu’à l’époque, il fallait ramer. On était un peu des héros, des happy few parce qu’on connaissait ça, il fallait vraiment être des initiés.
Happy few
On était un petit noyau de tarés. Les autres avaient peut-être leur jardin secret – le ping-pong, le tennis – mais à Roanne, on était trois à être fans de bd, rock et s-f. On avait même fait un petit fanzine qui s’appelait Absolutely Live, en référence aux Doors que j’avais découverts en 72.
L’arrivée à Paris
J’ai déboulé là-dedans en me disant : « putain, ils sont fous les mecs. Pourquoi ils m’engagent, je ne suis pas au point moi ! » J’y ai jamais cru. Je disais : « attendez, il faut peut-être que je fasse mes classes ! ». Pendant longtemps, je disais que j’étais là en fraude. C’était invraisemblable d’être embauché à dix-sept ans, surtout avec ce que je faisais. J’étais très influencé par Moebius, je savais tout ce qui me manquait. Je n’avais aucune facilité.
Education métallique
Métal permettait vraiment de faire ses classes, son apprentissage. Ce qui n’aurait pas été le cas dans les autres magazines BD. Métal permettait de faire des petits crobards dans son coin. J’ai découvert pas mal de choses entre 72 et 75. Moi, j’ai fait mon éducation avec comme j’ai quitté le lycée avant le bac, vu que j’étais engagé.
La rencontre avec Moebius.
J’étais vachement impressionné. Je me rappelle avoir acheté Général Tête Jaune… C’est un maître, un de plus balaises dessinateurs du monde de la planète. A l’époque, je l’ai vu dessiner chez lui. Dans le livre, je raconte la première rencontre ce qui est marrant – vu que je ne me souviens de rien. Le reste est faux, je n’ai pas fumé de joint, je ne me suis pas évanoui. Je l’ai vu dessiner en vrai, il habitait Mantes-La-Jolie à l’époque. J’ai dormi chez lui, je l’ai vu bosser au fil de la plume… ce mec est un martien. Je suis vachement content d’avoir vu ça, Moebius en train de dessiner devant moi. Moi, je suis incapable de dessiner avec des gens à côté de moi.
Illustrations pour Rock & Folk
J’avais envoyé à Rock & Folk des dessins par la poste, je me revois ouvrir Rock & Folk en province et me dire : « ouah, mon dessin ». Cela devait être en 75. Ce qui était génial c’est que je faisais des illustrations sans savoir ce que ça allait illustrer. C’était mon bloc-notes à moi. Paringaux et Koechlin avaient la science de mettre tel dessin à tel endroit, la science du collage. C’est quand on veut illustrer au pied de la lettre que l’on n’est pas forcément bon.
La censure
Comme je n’étais pas à la rédaction, je ne voyais pas l’épée de Damoclès qui planait au-dessus, je ne souffrais pas d’angoisse, je ne me demandais pas ce que je ferais si Métal se cassait la gueule.
Eddy Mitchell
La toute première pochette que j’ai faite c’était pour Eddy Mitchell, un coffret. Je me souviens l’avoir rencontré sur un plateau télé en 76, il devait y avoir encore Maritie et Gilbert Carpentier. Il enregistrait avec Coluche et je suis venu lui dire : « je n’y arrive pas avec votre tête, j’arrive pas à faire une tête ressemblante ». Il y avait Coluche qui disait : « c’est pas grave, tu n’as qu’à coller une photo ». Amusant de dire ça à un dessinateur !
Manoeuvre
Métal Hurlant était au début strictement sf et Manœuvre a amené le rock assez vite. Il m’a fait faire Rock City presque tout de suite, il m’a appris ce que c’était que baba cool parce que je ne savais pas ce que c’était.
Manchette
Quand j’ai rencontré Manchette, je ne connaissais pas ses bouquins. Manchette était un amateur de bd, ce qui était rare parce qu’il était aussi féru de jazz et de polar évidemment. Je l’ai rencontré en train se bourrer la gueule dans un troquet – ça c’est vrai. Pour la séquence de deux pages dans le livre, je me suis servi d’une lettre qu’il m’avait écrite, avec ses phrases superbes. Il me décrit l’histoire d’un livre à illustrer, dont je devais faire la couverture : « les mecs se battent, des nains de deux mètres. Le mec qui a écrit ça se fout du monde et il a raison ». C’est vachement bien. Moi, mon rôle, c’est de le mettre en scène, de ne pas laisser ça dans les limbes et je suis vachement fier de ces deux pages – bien que les textes ne soient pas de moi. Là, j’avais un matériel vrai.
Hé non, normalement je devais sortir en même temps. Fromental me l’a commandé courant 2003. Ce devait être dans l’air du temps. Moi, mes premières notes sur le sujet datent de 94, j’ai pris mon élan et j’ai commencé… dix ans après !
Le concept du Journal
C’est une bio-fiction, je me suis servi d’un axe qui est mon vrai parcours : moi qui arrive à Paris, il y a un journal qui se crée dans lequel je veux bosser. Et moi qui traverse tout ça sans voir qu’à tout moment il peut se casser la gueule parce qu’il n’y avait pas de groupe derrière, Etre embauché à Métal je ne m’y attendais pas une seconde, pour moi c’était les dieux vivants qui y travaillaient. Je raconte ça sous cet angle, le nez en l’air et je sifflote. Et derrière c’est le Titanic qui peut faire naufrage. Un bon pitch, non ? Puisqu’il faut faire des pitchs maintenant.
J’ai bien aimé faire ça parce qu’il y a un petit côté écrivain.
Sa conception
Je ne bosse pas au fil de la page, ce sont des strates qui s’empilent, un mille-feuille. Tout est vachement épars, des notes vachement jetées, comme les écrivains qui prennent des notes, des bouts de machin à droite et gauche.
Touffu
Aérer ne m’aurait pas demandé plus de boulot – au contraire. C’était cent quatre-vingts pages le challenge – j’ai débordé. Dès le début, je le savais : « je veux quatre cent pages, je veux deux tomes ». From’ m’a dit : « no way, hors de question ». La distance, c’est toujours le problème. Les albums de 44 pages, ça nous a toujours fait chier. J’ai eu de grandes discussions avec Chaland, on se disait : « putain, 44 pages, on s’en sort pas ». On ne peut pas faire quelque chose de sérieux avec quelque chose d’aussi court.
La découverte de Métal
C’est un choc. En plus en 1975, c’était le désert culturel. A la télé, il n’y avait aucune émission de télé sur le rock. Moi, j’aimais bien la contre-culture, je lisais Charlie, Actuel ; Pilote. C’était ma littérature blanche à moi. Je faisais venir des comics directement de la librairie Futuropolis parce qu’autrement chez moi on ne trouvait rien. Il fallait aller à Lyon. Le numéro 1 de Métal, j’ai dû aller à Lyon à la librairie Expérience pour l’acheter ! C’était des quêtes du Graal. Et quand on trouvait, c’était fabuleux. Maintenant, on trouve tout : un clic et on a. Alors qu’à l’époque, il fallait ramer. On était un peu des héros, des happy few parce qu’on connaissait ça, il fallait vraiment être des initiés.
Happy few
On était un petit noyau de tarés. Les autres avaient peut-être leur jardin secret – le ping-pong, le tennis – mais à Roanne, on était trois à être fans de bd, rock et s-f. On avait même fait un petit fanzine qui s’appelait Absolutely Live, en référence aux Doors que j’avais découverts en 72.
L’arrivée à Paris
J’ai déboulé là-dedans en me disant : « putain, ils sont fous les mecs. Pourquoi ils m’engagent, je ne suis pas au point moi ! » J’y ai jamais cru. Je disais : « attendez, il faut peut-être que je fasse mes classes ! ». Pendant longtemps, je disais que j’étais là en fraude. C’était invraisemblable d’être embauché à dix-sept ans, surtout avec ce que je faisais. J’étais très influencé par Moebius, je savais tout ce qui me manquait. Je n’avais aucune facilité.
Education métallique
Métal permettait vraiment de faire ses classes, son apprentissage. Ce qui n’aurait pas été le cas dans les autres magazines BD. Métal permettait de faire des petits crobards dans son coin. J’ai découvert pas mal de choses entre 72 et 75. Moi, j’ai fait mon éducation avec comme j’ai quitté le lycée avant le bac, vu que j’étais engagé.
La rencontre avec Moebius.
J’étais vachement impressionné. Je me rappelle avoir acheté Général Tête Jaune… C’est un maître, un de plus balaises dessinateurs du monde de la planète. A l’époque, je l’ai vu dessiner chez lui. Dans le livre, je raconte la première rencontre ce qui est marrant – vu que je ne me souviens de rien. Le reste est faux, je n’ai pas fumé de joint, je ne me suis pas évanoui. Je l’ai vu dessiner en vrai, il habitait Mantes-La-Jolie à l’époque. J’ai dormi chez lui, je l’ai vu bosser au fil de la plume… ce mec est un martien. Je suis vachement content d’avoir vu ça, Moebius en train de dessiner devant moi. Moi, je suis incapable de dessiner avec des gens à côté de moi.
Illustrations pour Rock & Folk
J’avais envoyé à Rock & Folk des dessins par la poste, je me revois ouvrir Rock & Folk en province et me dire : « ouah, mon dessin ». Cela devait être en 75. Ce qui était génial c’est que je faisais des illustrations sans savoir ce que ça allait illustrer. C’était mon bloc-notes à moi. Paringaux et Koechlin avaient la science de mettre tel dessin à tel endroit, la science du collage. C’est quand on veut illustrer au pied de la lettre que l’on n’est pas forcément bon.
La censure
Comme je n’étais pas à la rédaction, je ne voyais pas l’épée de Damoclès qui planait au-dessus, je ne souffrais pas d’angoisse, je ne me demandais pas ce que je ferais si Métal se cassait la gueule.
Eddy Mitchell
La toute première pochette que j’ai faite c’était pour Eddy Mitchell, un coffret. Je me souviens l’avoir rencontré sur un plateau télé en 76, il devait y avoir encore Maritie et Gilbert Carpentier. Il enregistrait avec Coluche et je suis venu lui dire : « je n’y arrive pas avec votre tête, j’arrive pas à faire une tête ressemblante ». Il y avait Coluche qui disait : « c’est pas grave, tu n’as qu’à coller une photo ». Amusant de dire ça à un dessinateur !
Manoeuvre
Métal Hurlant était au début strictement sf et Manœuvre a amené le rock assez vite. Il m’a fait faire Rock City presque tout de suite, il m’a appris ce que c’était que baba cool parce que je ne savais pas ce que c’était.
Manchette
Quand j’ai rencontré Manchette, je ne connaissais pas ses bouquins. Manchette était un amateur de bd, ce qui était rare parce qu’il était aussi féru de jazz et de polar évidemment. Je l’ai rencontré en train se bourrer la gueule dans un troquet – ça c’est vrai. Pour la séquence de deux pages dans le livre, je me suis servi d’une lettre qu’il m’avait écrite, avec ses phrases superbes. Il me décrit l’histoire d’un livre à illustrer, dont je devais faire la couverture : « les mecs se battent, des nains de deux mètres. Le mec qui a écrit ça se fout du monde et il a raison ». C’est vachement bien. Moi, mon rôle, c’est de le mettre en scène, de ne pas laisser ça dans les limbes et je suis vachement fier de ces deux pages – bien que les textes ne soient pas de moi. Là, j’avais un matériel vrai.
5 commentaires:
Serge Clerc est aussi un maître ! Merci Oslav pour cette première partie ... vivement la semiane prochaine ....
Humpf, je ne vais pas refaire mon schtroumpf grognon ici :-)
Non, pas le retour du schtroumpf grognon ;)
Merci Geert !
Passionnant. Merci Oslav Boum. Toutes ces heures sur eBay à chasser du Clerc ne sont pas vaines!
Merci Olivier. La suite la semaine prochaine. Et désolé pour la forme un peu chaotique !
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