
Voilà, chose promise, chose bue. Ce gars est vraiment drôle... J'aime pas la chanson française, aux éditions Höebeke.
"Où allait-il ? Peu importe. Il ne faisait que passer dans ce récit. On ne le reverra plus" (Jules Verne)

Sfar et Trondheim sont des malins : chacun possède sa collection où il fait un peu ce qu’il fait (Bayou pour le premier chez Gallimard, Shampooing pour le second chez Delcourt) dont publier les livres de l’autre. La veille du jour où le jugement de l’affaire Charlie Hebdo sera connu (le 14 mars, quelque chose comme ça), Sfar livrera sa version du procès (chez Shampooing, donc) en plus de 200 pages. Un jour, toute son œuvre tiendra dans une énorme clé USB, ça sera génial – mais on aura plus le plaisir de toucher le papier, bouh. Ces jours-ci, Sfar a réédité (chez Bayou) l’incroyable ALIEEN, censée être une BD pour enfants extra-terrestres trouvée dans le jardin de Trondheim. Bien sûr, c’est ce dernier qui s’est défoulé dans des histoires cruelles et sans paroles où de mignons personnages à la Teletubbies ont les yeux crevés. On peut parler de réédition parce que ALIEEN avait été publié une première fois aux éditions Bréal Jeunesse, sorte de premier laboratoire éditorial de Sfar (selon ses propres mots, il a peu joué avec leur argent). Mais ces deux collections ne se limitent pas à des renvois d’amitié, non. Dans Shampooing (on ne parlera pas d’Ile Bourbon, évoqué plus tôt) Trondheim s’intéresse aux bd blogueurs. Virginie, une histoire qui sent la colle Cléopâtre est franchement niais mais Le Journal d’un remplaçant de Martin Vidberg, sur le quotidien d’un prof remplaçant, vaut pour son témoignage. D’autres sorties sont alléchantes comme Un été top secret que je vais devoir aller voler. Avec Bayou, Sfar s’est vite constitué une équipe d’auteurs qui ont de la personnalité, des histoires à raconter avec à chaque fois un ton bien à eux. Aya de Marguerite Abouet et Clément Oubrerie, Capucin de Florence de Dupré la Tour, Chaque Chose de Julien Neel, voici une liste de jolis albums, de ceux que perso j’ai plaisir à manier, feuilleter, lire-relire… Et puis il y a Morgan Navarro, sans doute le plus rock d’entre tous, créateur de Flipper le Flippé (éditions Requins Marteaux). Navarro est un peu l’héritier tendre de Tramber et Jano, le duo de Métal Hurlant qui animait Kebra le rat. Dans Flipper le flippé, la filiation est évidente, moins dans Skateboard et Vahinés, et un peu plus dans le récent Cowboy Moustache. Navarro dessine les chanteurs de country californiens à grande barbe moins bien que les dauphins mais les aventures de son groupe de potes timides ont quelque chose d’à la fois enfantin et pas du tout. Il a dédié son album aux Queens Of A Stone Age, ce qui augmente le trouble. Voici au-dessus la quatrième page... j'ai oublié, les couleurs sont surprenantes.
« Qui c’est cette fille là ? », vous vous demandez (peut-être). Ou alors vous l’avez reconnue… Marianne Faithfull. Cette vulgaire capture d’écran la montre en train de chanter au plein milieu du "Rock and Roll Circus", génial caprice des Rolling Stones organisé en décembre 68. En presque quarante ans, Marianne a morflé, sa voix a pris une épaisseur proportionnelle à celle de ses maux. Sexe, drogue et blablabla… Sa vie, ses amants sont connus. Ça fait d’elle une légende vivante, une de celles qui ont survécu aux sixties folles, aux vampires, au creux de la vague, aux années 80’s, etc. L’année dernière, en octobre, l’Anglaise a dû annuler en catastrophe sa nouvelle tournée. Heureusement, son cancer du sein a été détecté très rapidement si bien que la voici d’attaque. De mars à mai, elle donne une vingtaine de concerts (dont deux en France : le 15 mars à la Comète à Chalons en Champagne et le 27 du même mois à la Cité de la Musique à Paris), en formation acoustique. La très bonne nouvelle est que Fernando Saunders ne sera pas de la partie. Ce bassiste qui a aussi joué avec Lou Reed s’est piqué de devenir chanteur. Lors des derniers passages de Marianne Faithfull, il jouait seul en première partie et c’était grotesque. Pendant qu’il interprétait ses interminables chansons au romantisme niais (toutes à base de « love », « lover », parfois les deux dans le titre), les sièges du Casino de Paris créaient une sorte de contre-rythme en se relevant (tout le monde dehors, en attendant que Saunders, digne du barde d’Astérix, se taise enfin). Bon, il faut aller voir cette grande dame avant qu’elle se taise un jour à jamais. Elle promet d’ailleurs que sa voix sera mise en valeur comme jamais. Il y a des légendes qu’il ne faut pas laisser passer.
Qui c’est cet Appollo (non, pas Apollon) ? Un scénariste qui se fait remarquer grâce à deux histoires qui n’ont rien à voir. Parce que Lewis Trondheim lui a prêté son crayon à l’humour tordu, Ile Bourbon 1730 (collection Shampooing, éditions Delcourt) éclipsera peut-être Biotope (collection Poisson Pilote, éditions Dargaud). Si j’ai adoré la première (un récit avec des pirates, des esclaves évadés et des gros cons d’esclavagistes, tout ça sur 200 pages en noir et blanc et petit format) l’autre m’a peut-être encore plus estomaqué. Rappelons la principale contrainte des albums Poisson Pilote : 48 pages et basta, la suite au prochain numéro. Ça n’a pas empêché plein d’auteurs (comme Trondheim, Blain, David B et quantité d’autres) de s’épanouir grâce à cette collection initiée par Guy Vidal, grand monsieur de Pilote disparu. Appollo et le dessinateur Brüno n’arrivent pas, eux, faire oublier cette limite de pagination. Mais c’est leur faute : à la lecture de la dernière page, on bout déjà d’un suspense futur. Stop. Rewind. Play. Avec Biotope, on retrouve le plaisir de la série, celle qui capte en quelques planches et plonge dans un grand désarroi quand elle s’arrête en plein vol. Il s’agit ici d’une enquête, d’une planète, de trois flics au rôle ambigu (le commissaire fume comme un pompier, c’est vraiment criminel d’encourager la jeunesse…). De la science-fiction s’il faut mettre des mots. Vivement la suite.
Erreur du lundi matin. J’ai failli chialer au petit déj’. La raison de mon émoi : la lecture d’Un Homme est mort, bande dessiné de Kris et Etienne Davodeau. On n’est pas obligé d’aimer le trait de celui-ci qui nivelle un peu ses personnages (il faut de l’attention pour les différencier). Mais l’histoire vaut qu’on persévère. Brest, 1950. La ville bretonne se reconstruit après la guerre mais les habitants crèvent la faim. Une délégation constituée notamment d’une députée communiste essaye d’obtenir « du pain et du lait » de la mairie. Dans un climat très contestataire, une manif est organisée pour protester contre l’arrestation de la députée. Sous la pression d’un secrétaire d’état, le maire prend alors un arrêté anti-daté pour réprimer la manif. Les premiers rangs, formés des responsables syndicaux, essuient des tirs à balle réelle et un homme, simple militant, Edouard Mazé, est tué. Le réalisateur de documentaire René Vautier (Afrique 50, apparemment le premier film anticolonialiste) revient à Brest pour capturer sur bobine les événements. Le voilà donc qu’il part filmer, recueillir les témoignages, figer pour l’éternité les visages des militants, des simples gens. Sauf qu’il ne dispose pas de micro. Au moment du montage, il a l’idée d’enregistrer, en guise de commentaire, un poème de Paul Eluard : “Un homme est mort”. Ce film sera ensuite projeté aux gens de Brest (sous la formule du cinéma ambulant) des centaines de fois. Jusqu’à ce qu’il soit détruit. De ce film militant devenu culte, il ne reste plus rien. A part ce livre, celui de mon grave petit-déjeuner, livre qui est dédié à son histoire, vraie de bout en bout (mise à part les astuces fictionnelles obligatoires). Je ne lui ai sans doute pas rendu justice. En tout cas, ça ne m’était pas arrivé depuis longtemps (peut-être le dernier Taniguchi) d’être ému comme ça. Un homme est mort constitue un sacré bout de mémoire vivante, un petit bout au regard de l’ensemble de l’histoire humaine, mais un bout qu’il fallait conserver. Bravo donc aux auteurs pour s’être acquitté de cette tâche d’utilité publique. Une dizaine de pages, après la bande dessinée, fournit d’éclairants témoignages et documents, en plus d'un retour sur sa conception. A part ça, je n'achèterai pas l'édition noir et blanc du 5e Chat du Rabbin. Faut pas déconner, j'ai pas une bibliothèque de 50 m2 et ça serait du luxe superflu, très.


